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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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1er novembre 1835

1er novembre [1835], dimanche, 9 h. ¾

Depuis que tu es parti, mon cher petit homme, j’ai eu la visite de MmeLebreton [1] presque aussitôta que tu as été sorti de la maison. Après elle, j’ai fait ce dont nous étions convenusb ensemble, c’est-à-dire que j’ai pris un remède pour parer aux inconvénients de n’être pas régléec comme un papier de musique. Ensuite j’ai déjeuné et puis j’ai montré à cette fille à faire le ménage, puis enfin, je me suisd débarbouillée, peignée et habillée et puis je t’écris toutes ces choses plus intéressantes les unes que les autres.
Mon bon petit cher Toto, je t’aime, aime-moi aussi de ton côté. Je t’assure que tu feras bien car je le mérite.
J’ai eu un petit assaut tantôt à supporter avec Mme Lebreton qui a pleurée, qui m’a demandé par tous les bouts et dans tous les langages depuis la prière jusqu’à la menace, de l’argent. J’ai tenu bon, je lui ai dit que je n’en avais pas, que je ne pourrais pas en avoir d’ici à très longtemps sans lui préciser l’époque. Enfin je m’en suis tirée assez bien. Je te raconte tout cela parce que tu le veux et parce que je t’aime de toute mon âme.

J.

BnF, Mss, NAF 16325, f. 72-73
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « presqu’aussitôt ».
b) « nous étions convenu ».
c) « réglé ».
d) « je me si ».
e) « a pleurée ».


1er novembre [1835], dimanche soir, 8 h. ¾

Mon cher bien-aimé, il y a bien de la tristesse au dedans de moi ce soir, mais il y a encore plus d’amour. Je t’aime, mon Victor. Je t’aime au-dessus de toutes les turpitudes qu’on élève entre nous. Je t’aime comme jamais homme n’a été aimé.
Nous avons passéa bien près du malheur aujourd’hui. Heureusement que la providence a déjoué le complot de ces misérables qui attendent en se frottant les mains le résultat de leur lâche perfidie [2]. Pour cette fois encore, nous sommes préservés, mais le serons-nous toujours ? Cette pensée me serre le cœur et me fait concevoir tousb les désespoirs à la fois. Mon Dieu ! Préservez-moi du malheur d’être séparéec de mon bien-aimé ou faites-moi mourir avant.
J’espère, mon pauvre cher Toto, que les nouvelles de ton frère [3] t’auront rassuré et qu’à l’heure qu’il est tu n’es plus inquiet, du moins de ce côté-là.
Je te demande bien pardon de ma tristesse de tout à l’heure. Je te demande pardon de t’aimer trop. Je te demande pardon de n’avoir pas toujours le front satisfait quand tu arrives et de ne pas savoir oublierd ou dissimulere les souffrances de l’absence aussitôt que tu parais. J’y ferai dorénavant tout mon possible et peut-être y parviendrai-je.
Je t’attends, mon amour, avec bien de la patience et de la résignation. Je t’aime encore plus ce soir que je ne t’ai jamais aimé.

J.

BnF, Mss, NAF 16325, f. 74-75
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « nous avons passés ».
b) « tout ».
c) « séparé ».
d) « oublié ».
e) « dissimulé ».

Notes

[1Peut-être s’agit-il de Juliette Lebreton (1800-1842), Mme Jules Cloquet depuis le 5 mai 1817, cousine de Louise d’Arcet qui épousa James Pradier le 27 août 1833 ?

[2Allusion vraisemblable à l’article perfide de Sainte-Beuve sur Les Chants du crépuscule paru ce jour-là dans la Revue des deux mondes, où il évoque à mi-mot, mais indirectement et sans donner de nom, la double vie amoureuse de Victor Hugo.

[3Victor Hugo a deux frères. Abel (Paris, 1798 - Paris, 1855) et Eugène (Nancy, 1800 - Charenton, 1837) qui était alors interné à l’hospice Saint-Maurice de Charenton où il mourut le 20 février 1837 après quatorze ans d’enfermement.

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