Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1840 > Novembre > 19

19 novembre [1840], jeudi soir, 9 h. ¼

J’ai attendu que Mme Guérard fût partie, mon bien-aimé, pour t’écrire plus à mon aise. Pauvre adoré, tu t’es fait bien mal tout à l’heure par la faute de ce stupide ouvrier, j’espère cependant que ce ne sera rien et que je n’aurai pas un tourment à ajouter à l’ennui que me cause chaque jour ton absence. Tu ne peux pas te figurer, mon Toto, combien peu je m’habitue à ne pas te voir toute la journée comme il y a un mois [1]. Dès que tu as détourné le coin de ma rue je sens un serrement de cœur, une tristesse et une envie de pleurer inexprimables, c’est toujours la même chose, je ne suis pas plus raisonnable un jour que l’autre et je vivrais éternellement que je sentirais toujours la même chose car le besoin de te voir fait partie de ma vie comme de boire, de manger et de respirer. Ce ne sont pas des phrases en l’air que je te dis c’est la vérité comme je la sens dans le cœur et dans les entrailles. Je t’aime, mon Toto chéri, je t’adore, mon bon petit homme, tu es ma vie, mon bonheur et ma joie. Mme Guérard envie notre sort, dit-elle, mais la pauvre femme ne pourrait pas supporter un bonheur comme le nôtre et je ne le lui souhaite pas car il faut être constituée d’une certaine manière pour aimer comme je t’aime, amour-propre et fatuité à part. Je suis sûre que l’on concourrait dans tout l’univers à qui aime le mieux son amant ce serait moi qui auraisa le 1er prix. Il est vrai que tu es le premier des hommes mais je défie encore aucune femme de t’aimer comme je t’aime depuis bientôt huit ans. Jour Toto. Comment va ta petite jambe mon amour ? Tâche de revenir tout de suite ; j’ai du bon [feuilleté ?] et des bons salsifisb à te donner. Jour je t’aime. Quand donc ferai-je une équipée avec vous ? Est-ce que vous croyez que je pourrai rester indéfiniment pendue à un clou ? Ah ben par exemple ne vous y fiez pas aussitôt que j’aurai mon chapeau je veux sortir tout de suite entendez-vous. Je veux aller faire une CULOTTE avec vous AU BANQUET D’ANACRÉON [2], cettec espèce de MARRONNIERS [3] D’HIVER. Je le veux, je le veux, je le veux. En attendant baisez-moi et venez vite.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16343, f. 171-172
Transcription de Chantal Brière

a) « aurait ».
b) « salcifits ».
c) « cet ».

Notes

[1Juliette regrette la vie commune que leur permettent les voyages comme celui sur les bords du Rhin qu’ils viennent d’achever.

[2« Au banquet d’Anacréon » était un célèbre restaurant situé au no 53, boulevard Saint-Martin.

[3Nom d’un restaurant de Bercy Juliette aimait se rendre à la belle saison.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne