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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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7 novembre [1840], samedi matin, midi

Vous avez pris une bien mauvaise habitude, mon petit homme, celle de ne pas revenir à la maison avant minuit [1]. Je vous préviens que si vous persistez dans cet absurde système j’irai me promener tous les jours depuis midi jusqu’à minuit pour vous apprendre à faire mieux votre garde. Taisez-vous ou je dévoile toutes vos affreuses infirmités, je crierai par-dessus les toits que vous avez du caca plein votre chemise, plein votre caleçona et autre. Taisez-vous et faites votre devoir ou sinonb je DIS TOUT. Baisez-moi scélérat et faites-moi un petit JONAS [2] tout de suite. Je voudrais pour dix millions en avoir un pas plus grand que le petit doigt. Hélas ! ce n’est pas pour moi que ce bonheur est fait et je n’ai de petit Jonas que ceux de votre imagination ce qui ne suffit pour me faire illusion sur le bonheur d’avoir un petit enfant pour de bon, en chair et en os, de vous. C’est fort triste quand on aime comme je vous aime. Taisez-vous encore une fois, vous êtes une bête et voilà tout. Je ne reçois pas de nouvelles de mon pauvre père [3], il est probable qu’il est malade. Je prierai Lanvin de s’en informer en personne si je ne reçois pas de lettre de lui ou de sa part d’ici à quelques jours. Je t’aime mon Toto adoré. Je t’aime mon Toto chéri. Je t’adore mon beau et noble petit homme.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16343, f. 137-138
Transcription de Chantal Brière
[Blewer]

a) « calçon ».
b) « si non ».


7 novembre [1840], samedi soir, 10 h. ¾

J’ai pris enfin mon bain, mon cher bien-aimé, puis j’ai eu la visite de la mère Lanvin qui m’a rapporté la reconnaissance renouveléea. J’ai aussi ma lampe mais grand Dieu quel affreux voleur que ce Carcel [4] ou quelle hideuse lampe que sa lampe, croirais-tu qu’il m’en coûte 10 f. pour avoir fait nettoyerb et arranger le mécanisme ? Mais comme on ne peut pas savoir au juste ce qu’il y a à faire à l’intérieur il est plus que probable qu’il abuse de notre ignorance outre mesure. Du reste il ajoute, toujours ce même Carcel, que si sa lampe n’allait pas bien c’est que l’huile n’était pas bonne. C’est-à-dire qu’il faut la lui acheter 2 sous par livre plus cher qu’ailleurs et encore ce sera verjus vert [5]. Je suis furieuse contre cet animal et je vais reprendre l’habitude de faire moi-même ma lampe pour n’avoir pas de reproches à me faire. Je t’aime mon Toto chéri. Je t’adore mon bon petit homme, je voudrais te baiser mon amour. J’espère que tu vas bientôt venir car voici la soirée qui s’avance bien qu’il ne soit pas malheureusement aussi tard que le dit la pendule. Claire joue à la poupée, Suzanne travaille et moi je t’aime. Il y a huit jours à cette heure-ci nous nous arrêtions à Château-Thierry pour agripper encore un pauvre petit morceau de bonheur mais le voisinage de Paris empêchait la joie de cette dernière nuit [6]. Depuis, mon amour, je me trouve bien heureuse d’accrocher une petite nuit d’amour tous les jours et je serai bien contente tout à l’heure quand je baiserai ta belle bouche rose.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16343, f. 139-140
Transcription de Chantal Brière

a) « renouvellée ».
b) « nétoyer ».

Notes

[1La famille Hugo s’était installée pour la saison d’été au château de la Terrasse à Saint-Prix. Hugo s’y rendait très régulièrement et revenait par la diligence de nuit. Il semble pourtant qu’à cette date Mme Hugo et ses enfants soient de retour à Paris.

[2Pour cet enfant désiré, Juliette choisit le prénom du petit Besancenot.

[3René-Henry Drouet est en réalité son oncle.

[4L’horloger Bertrand Guillaume Carcel (1750-1812) est l’inventeur d’une lampe dans laquelle l’huile s’élève vers la mèche grâce à un mécanisme de rouages et d’un piston. Cette lampe qui porte son nom sera perfectionnée et commercialisée par ses successeurs.

[5Tournure imagée pour dire : ce sera la même chose.

[6Hugo et Juliette achèvent un voyage de deux mois qui les a conduits sur les bords du Rhin. Ils arrivent à Paris le 1er novembre.

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