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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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4 novembre [1840], mercredi matin, 8 h.

Mon pauvre bien-aimé, j’ai à peine eu le temps de te voir car à peine arrivé il a fallu te coucher et dormir et à peine endormi te réveiller et t’en aller. Que le diable emporte les comtesses qui ne payent pas les pensions alimentaires des auteurs de leurs jours. Sans une d’entre elles j’aurais passé une bonne grande nuit auprès de toi y compris la matinée qui n’est pas à dédaigner quand elle aboutit à un bon petit déjeuner auprès du feu. Aujourd’hui je n’ai rien de tout cela et quoi quea tu en dises je n’ose pas espérer que tu reviendras auparavant ce soir. C’est bien triste. Je m’étais si bien habituée à te voir tous les jours et à toute heure [1] que ça m’est bien dur de compter les heures en t’attendant. Baise-moi mon Toto chéri. Baise-moi mon amour adoré. Je n’enverrai pas Mme Lanvin au bois à moins que tu ne m’apportes de l’argent pendant qu’elle sera chez moi car il ne me reste juste que 95 f. et si les fournisseurs et le blanchisseur viennent aujourd’hui ce sera à peu près ce que je leur donnerai. Cela ne me contrarie que parce que je suis forcée de faire revenir Mme Lanvin ou son mari et que c’est gênant pour eux et pour moi. Enfin il le faudra bien. Baise-moi mon cher petit homme, je t’aime de toute mon âme. Baise-moi qu’on vous dit. Vous êtes bien joli depuis que vous êtes à Paris, cela ne me convient pas à moins que vous ne me quittiez pas ni jour ni nuit mais autrement je vous le défends expressément, entendez-vous cher adoré ? Je vous aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16343, f. 125-126
Transcription de Chantal Brière

a) « quoique ».


4 novembre [1840], mercredi, 10 h. ¼ du soir

J’ai eu la visite et la pratique de Mme Guérard pour dîner jusqu’à présent, c’est pour cela, mon Toto, que je ne t’ai pas écrit plus tôta mais tu n’y asb pas perdu car je n’ai pas cessé de jaboter sur votre compte car vous êtes le sujet inépuisable de mes pensées, de ma conversationc, de mon admiration et de mon amour et tous ceux qui m’approchent sont obligés d’en passer par là. Ils sont ou elles sont bien malheureuses, en vérité je les plains, voime, voime, en reniflant.
La mère Lanvin Lanvin et Claire sont allées au bois mais on n’a pu en prendre que deux voies [2] et demie pour 95 f. 19, une voie et demie à 38 f., une demi voied à 34 f., une autre à trente-six avec le rentrage cela se monte à la somme ci-dessus. Quant à la reconnaissance, on n’a pas pu la renouvelere aujourd’hui parce qu’elle était des Petits Augustins et qu’on n’auraitf pas eu le temps d’y aller. C’est encore quelques sous de faux frais dont je me serais très bien passée. Jourdain est venu, je lui ai expliqué pour la peau du chevreuil [3], il l’enverra prendre par son apprenti demain. Mme Guérard qui a deux coquilles à rôtir m’en prête une indéfiniment ce qui m’économisera d’en acheter une, enfin le menuisier est venu mais il n’est pas REVENU avec mon tiroir. Je voudrais bien avoir à vous apprendre que je vous ai vu, que vous êtes là, que vous m’aimez, que vous ne vous en irez pas et que vous êtes heureux de mon amour. Mais il s’en faut bien que j’aie des nouvelles aussi ravissantes à vous donner. Vous n’êtes pas là, vous m’oubliez, vous ne viendrez peut-être pas du tout et peu vous importe que je vous aime ou non de tout mon cœur. N’est-ce pas que c’est vrai. Oh ! non, non, mon adoré, ce n’est pas vrai, n’est-ce pas ? Tu m’aimes, tu vas venir et tu ne pourrais pas te passer de mon amour ? Baise-moi mon cher bien-aimé et viens vite.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16343, f. 127-128
Transcription de Chantal Brière

a) « plutôt ».
b) « a ».
c) « conservation ».
d) « demie voies ».
e) « renouveller ».
f) « aurait ».

Notes

[1Hugo et Juliette ont voyagé ensemble durant les deux mois précédents, du 29 août au 1er novembre.

[2Une voie de bois : quantité équivalant à environ deux stères.

[3Cette peau de chevreuil qui servira de couvre-lit à Juliette (voir lettre du 21 décembre 1840) est un souvenir rapporté du voyage. Jean-Marc Hovasse signale le passage des Misérables où il est question de cet élément décoratif acheté « à Tottlingen, près des sources du Danube » et présent dans la maison de Monseigneur Myriel. (Victor Hugo. Tome 1. Avant l’exil, Fayard, p. 795).

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