Paris, 10 juin [18]74, mercredi soir, 5 h. ½
À qui donc, mon galant pourvoyeur de nouvelles, fais-tu tous les jours hommages de la clayère [1] des journaux frais dont quelques-uns n’ont pas même été sentis par moi, comme Le Charivari de ce matin, que je t’avais consciencieusement porté avant de l’avoir ouvert ? J’avais déjà remarqué, tu dois t’en souvenir, dès la rue Pigalle [2], cette tendance nomade de tes journaux à déserter la maison tous les jours. Il paraît que le goût de pérégrination leur a repris et que d’eux-mêmes, ils s’en vont, non vers une autre patrie, mais dans des cabinets de lecture plus commodes et plus plaisants que le mien. Peut-être seraisa-je de leur avis si je connaissais le motif de leur préférence, mais dans le doute je m’abstiens. Ce dont je ne m’abstiens pas, par force ou par plaisir, c’est de t’aimer au-delà de la raison, au-delà des 99 degrés Réaumur [3] qui nous rôtissent en ce moment, au-delà de l’enfer et même du Paradis. Tu seras bienvenub à me rapporter ce soir Le Rappel et Le Charivari de ce matin et L’Égalité de Marseille d’hier, car, décidément, ces trois journaux manquent encore plus à mon bonheur qu’à ma collection. J’ai besoin de me souvenir que Petit Georges est encore, hélas ! pauvre petit, malade et que Jeanne sourit avec confiance à l’espoir de voir danser La Dame ce soir aux Champs-Élysées pour ne pas jeter mon cœur aux orties.
BnF, Mss, NAF 16395, f. 105
Transcription de Véronique Heute assistée de Florence Naugrette
a) « serai ».
b) « bien venu ».