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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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25 février [1840], mardi, 1 h. après midi

Vous voyez bien que vous n’êtes pas revenu, mon Toto, et cependant vous aviez fait votre barbe et vous étiez bien joli, bien tendre et bien charmant et moi bien jalouse, bien féroce et bien passionnée. Que vous fallait-il donc de plus pour vous forcer à revenir ? Une autre foisa je ne vous laisserai plus aller de confiance et je vous retiendrai de force. N’est-ce pas, mon adoré, que tu ne me trompes pas ? N’est-ce pas que j’ai raison d’avoir confiance en toi et de t’adorer ? N’est-ce pas que tu m’aimes et que tu n’aimeras jamais que moi ? J’ai besoin d’être sûre de cela, mon adoré, pour supporter la vie agaçante et solitaire que je mène tous les jours. J’ai besoin d’avoir toute confiance et toute sécurité en toi. J’ai surtout besoin de ton amour sans lequel je ne pourrais pas vivre. C’est demain que j’aurai ma fille. C’est demain l’anniversaire de ta naissance admirée et vénérée. J’aurais voulu la célébrer avec toi, quoi queb tu en dises. Mais la présence de Claire rend la culotte difficile. Tu serais bien bon et bien charmant si tu voulais anticiper d’un jour et consentir à avoir TRENTE-SEPT ANS [1] un jour plus tôt rien que pour moi seule. Je dis cela mais je ne l’espère pas. Je sais combien il y a d’empêchement entre toi et mon bonheur. Il ne faut rien moins qu’un an et quelquefois deux pour parvenir à ce moment si désiré, si attendu, si souhaité et si appelé. Aussi je n’espère pas être plus heureuse cette fois que les autres. Je t’aime, je t’adore, c’est bien assez pour mon bonheur.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 198-199
Transcription de Chantal Brière

a) « autrefois ».
b) « quoique ».


25 février [1840], mardi soir, 6 h. ½

Voici la journée passée, mon Toto, sans que je t’aie vu, la soirée suivra probablement ? Je ne t’en veux pas, je sais que tu as beaucoup à faire. Je t’aime et je te désire, voilà tout. Je pourrais ajouter aussi que je me confectionne le plus beau rhume de cerveau qui se soit vu depuis les gendarmes d’éternuante mémoire [2]. J’ai un mal de tête fou, mes yeux pleurent comme des madeleines, comme tu dis, je crois que je ne tarderai pas à me coucher à moins que tu ne viennes me chercher pour [ORGISSER ?] un peu, ce dont je doute plus que très fort. Baisez-moi toujours et ne me trouvez pas trop laide si vous pouvez, pour cela il faudra ne pas me regarder et me baiser à l’envers. Tiens c’est une idée ça, elle doit être assez drôle à l’envers.
Mon Dieu, mon pauvre bien-aimé, que j’étais loin de prévoir cette vilaine affaire dans laquelle tu te trouves fourréa. Que le Diable emporte les misérables qui osent t’appeler dans leurs débats : je suis outrée. Je souffre, je ne peux pas mettre une idée de suite. J’ai mal à la tête et au cœur, j’étais déjà mal disposée et voilà que le margouillis stupide me rend encore plus malade et plus abattue. Mon Dieu j’avais bien raison de dire ce matin qu’entre toi et mon bonheur il y avait bien des empêchements. En voici un auquel je n’avais pas pensé. J’espère, mon adoré, que tu auras la générosité pour ceux qui t’aiment et pour moi qui ne peux pas vivre sans toi de ne pas te substituer à M. Granier ? [3] S’ils veulent se battre, que les loups se dévorent entre eux mais nous soyons heureux. J’ai le cerveau tellement pris que je ne sais pas ce que j’écris, mais je sais que je veux te dire d’être prudent et de m’aimer.

BnF, Mss, NAF 16341, f. 200-201
Transcription de Chantal Brière

a) « fourrée ».

Notes

[1Hugo va avoir trente-huit ans.

[2Allusion au poème en deux chants du comédien comique Jacques-Charles Odry, intitulé « Les Gendarmes » (1820), dans lequel « six bons gendarmes » souffrant de « bons rhumes de cerveau » acceptèrent des bâtonnets de bois en guise de réglisse.

[3La veille, à la Société des Gens de Lettres, Merruau et Granier ont été élus pour rédiger un projet de protestation contre les récentes élections à l’Académie française qui ne tiennent pas suffisamment compte des qualités littéraires des candidats. Hugo, président de la Société des gens de Lettres, et récemment battu à l’Académie, craignant d’être suspect de partialité dans cette revendication, s’est prononcé contre le projet.

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