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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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27 juillet [1851], dimanche matin, 7 h. ½

Bonjour, mon Victor bien-aimé, bonjour. Dors bien, je t’aime et je suis heureuse. À ton tour de ne pas douter de ce que je te dis et de ne pas te tourmenter. Tu vas voir comme je vais redevenir gaie et bonne et confiante, surtout depuis que je sais que tu vas de mieux en mieux et que tu seras bientôt guéri. Je suis toute joyeuse et le bonheur ne me paraît plus impossible. De quelque façon que tourne l’affaire de ton Charles [1], je serai heureuse puisque je serai auprès de toi. Ainsi, mon bon petit homme, ne t’inquiète pas de moi d’aucune manière car mon bonheur c’est ton amour et puisque tu m’aimes je n’ai rien à regretter et à désirer.
J’espère que tu auras dormi toute ta nuit sans interruption, mon pauvre petit homme, car tu en avais bien besoin. Tu paraissais épuisé de fatigue. Je ne sais pas comment tu pourras finir ton livre sans nuire à ta santé. Il serait peut-être prudent d’ajourner ce travail à l’année prochaine pour ne pas entraver ta guérison qui est en si bonne voie maintenant. Mon pauvre bien-aimé, je te parle de choses qui ne me regardent que par la tendre et profonde sollicitude que je porte à tout ce qui intéresse ta santé qui est ma vie. Tâche de tout concilier, ton travail, ta santé et mon bonheur.

Juliette

Leeds
BC MS 19c Drouet/1851/52
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen


27 juillet 1851, dimanche après-midi, 2 h.

Tu viens de voir et de sonder toutes les plaies vives de mon cœur, mon cher bien-aimé, et tu peux te rendre compte s’il y a lieu d’espérer une prompte cicatrisation. Tu sais si tu as en ton pouvoir le vrai dictame [2] qui guérit ces sortes de maux. Quant à moi, je ne sais qu’une chose, c’est que je t’aime et que je ne m’effraye pas de mourir de trop t’aimer, au contraire, Dieu sait aussi que je ne demande pas mieux que de vivre si tu m’aimes. Maintenant, je te livre mon corps, mon cœur et mon âme pour en disposer comme tu voudras. Pour la dernière fois, mon bien-aimé, je te promets, et cela pour tout ce que j’ai de plus vénéré et de plus sacré pour toi, de ne jamais revenir sur une erreur douloureuse qui me blessait au moins autant qu’elle te blessait toi-même. Je te promets de n’y jamais même faire allusion, dès ce moment je ne me souviens plus d’avoir eu cette mauvaise pensée. Tu sais que, pour que les plaies béantes se ferment et se cicatrisent, il faut qu’il y ait une sorte d’[envenimement  ?] des bords qui les rapproche l’un de l’autre et les soudeb. Je crois que c’est ce qui s’accomplit intérieurement en moi dans ce moment-ci, je souffre davantage que les premiers jours mais je suis plus près j’espère de la vraie guérison. Ne te décourage pas et ne te rebute pas pendant ces longs pansements où tu fais crier ma douleur plus haut que je ne voudrais. Si tu m’aimes, comme tu le crois, comme je le désire et comme je l’espère, tu ne regretteras pas la peine que tu prends aujourd’hui pour me guérir et m’insufflerc une nouvelle vie mais, soit que tu échoues ou que tu réussissesd dans cette cure merveilleusee, c’est bien non et bien généreux à toi d’y essayerf et je t’en remercie avec toute ma reconnaissance et tout mon amour.

Juliette

Leeds
BC MS 19c Drouet/1851/53
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen

a) « rapprochent ».
b) « soudent ».
c) « insufler ».
d) « réussisse ».
e) Juliette semble avoir écrit « difficile » d’un premier jet, avant de réécrire par-dessus.
f) « esseyer ».

Notes

[1Après avoir été traduit en Cour d’Assises pour attentat à la loi suite à la publication d’un article sur la peine de mort, est condamné à 6 mois de prison. Il est incarcéré à la Conciergerie le 1er août 1851.

[2Dictame : Plante médicinale.

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