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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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11 mars 1840

11 mars [1840], mercredi après-midi, 1 h.

Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour ma joie, bonjour ma vie. Comment vas-tu mon petit homme ? Comment vont tes pauvres beaux yeux ? J’espérais que tu viendrais cette nuit mais il est rare que mon espoir se réalise. Ce n’est jamais qu’à la grande rigueur que tu viens et quand tu ne peux pas faire autrement, aussi je suis triste et découragée. Je sais bien que tu travailles, mon pauvre bien-aimé, mais je sais aussi qu’il faut que tu te reposes quelques heures et c’est ces quelques heures-là que je voudrais passer auprès de toi. Je te vois donner du temps à tes devoirs de famille et du monde peut-être plus qu’il n’est nécessaire, moi seule je suis négligée et oubliée, pour ce qui regarde le cœur et l’amour, c’est-à-dire la vie et le bonheur, pour le reste je ne manque de rien, je le reconnais, il est impossible d’y apporter plus de dévouement et de générosité mais ce n’est pas de l’amour. Je suis bien à plaindre mon Dieu, plus que je ne le dis, mais c’est bien vrai. Il dépendrait de toi de changer toute cette amertume et toutea cette tristesse en joie et en bonheur, il suffit que je te voie pour cela. Quand te verrai-je mon Toto ? Je ne compte pas sur toi pour sortir aujourd’hui, d’ailleurs il fait trop sale dans les rues, le dégel n’est pas le jour qu’il faut choisir pour s’aller promener quand on est déjà malade car j’ai un mal de tête atroce et qui m’ôte toute espèce de goût et de courage, excepté de t’aimer que rien jusqu’à présent n’a pu empêcher.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 256-257
Transcription de Chantal Brière

a) « tout ».


11 mars [1840], mercredi soir, 8 h. ¾

N’est-ce pas bien stupide, mon adoré, d’être la plus heureuse des femmes et de paraître la plus grognon et la plus méchante des femelles ? En vérité je suis furieuse contre mon mal de tête qui est cause de tout cela. J’étais cependant bien heureuse et bien joyeuse tantôt appuyée à ton cher petit bras mais je ne pouvais pas te le montrer beaucoup tant je souffrais de cette hideuse caboche. J’espère que le dîner va me faire un peu diversion. J’ai le visage en feu et mes douleurs sont moins violentes. Je suis femme à risquer le Théâtre-Français et Les Deux ANGLAIS [1] à pied. Oh ! oh ! quelle gaillarde ! Pour cela il ne faut rien, rien moins que la joie d’être avec vous, peu de chose en vérité. Baisez-moi alors et aimez-moi vieux coquin ; je reconnais que votre CANARD était une triste et bien horrible histoire. Quel misérable que ce hideux tailleur et quelle fatalité sur cette pauvre et inintéressantea famille ! J’avoue que si j’avais de l’argent à moi, je n’hésiterais pas à l’envoyer à ces pauvres gens. Aimons-nous, mon Toto, et soyons heureux l’un par l’autre car rien n’est plus consolant et plus doux par ce temps de lugubres et ignobles turpitudes.
Je voudrais bien baiser tes pieds. Jour mon Toto, je suis rouge comme un coq mais je sens que mon mal de tête diminue. Si cela pouvait durer je serais très bonne et très ille [2] tout à l’heure. En attendant je t’aime de toute mon âme et je te désire de toutes mes forces.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 258-259
Transcription de Chantal Brière

a) « ininterressante ».

Notes

[1Les Deux Anglais : titre d’une comédie à succès de Merville représentée pour la première fois en 1817.

[2Gentille.

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