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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 30 octobre 1852, samedi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon courageux petit homme, bonjour, mon ineffable adoré, bonjour. J’espère que tu n’auras pas eu de pluie hier au soir pour revenir de ta réunion. C’est déjà beaucoup trop que tu aies dû patauger dans les routes délayées et défoncées. Comment va ta douleur de cœur ? Si elle persistait et que tu crois devoir user du remède d’Yvan [1] je me résignerais à l’essayera sur moi auparavant. Mais sans cela je m’en priverai car je n’y ai aucune confiance. Il faut, pour que ces remèdes aient quelque bonne signification, qu’ils soient administrés par des gens habiles et montre en main. Et encore, je doute que cela puisse avoir d’autre résultat que de vous enrhumer et de vous donner une fluxion de poitrine. Telle est ma conviction et tu sais que la confiance entre pour les trois quarts dans l’efficacité des remèdes administrés. Ceci dit, je suis à ta disposition car autant je suis sceptique en médecine quand il s’agit de moi, autant je suis superstitieuse pour tout ce qui pourrait te soulager. Ainsi ne te gêne pas pour me faire essayer de cette machine ammoniaquéeb si tu crois que cela peut te servir. J’ai reçu tout à l’heure une lettre de [Falempin  ?] toute pleine de réserve, de réticences et de sous-entendus mais d’où il ressort cependant un bon petit désir de flanquer des coups de pied au....c nez du sieur Bonaparte et l’espoir d’y arriver bientôt. Il paraît du reste qu’il m’aurait écrit il [y] a longtemps et que la lettre ne m’est pas parvenue. C’est du moins ce qu’il dit pour excuser un silence assez voisin de l’impertinence. Maintenant, mon cher petit homme, je vous aime avec et sans hydrothérapie et je vous prie d’en user en tous lieux et en tous temps.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 111-112
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « esseyer »
b) « amoniaquée ».
c) 4 points de suspension.


Jersey, 30 octobre 1852, samedi après-midi, 2 h.

Il me semble que je vois le citoyen Ponto se promener sur la grève en compagnie de trois dames, SES LÉGITIMES probablement. Je ne serai pas fâchée à mon tour d’entrevoir le bout de votre museau, ne fût-cea que le temps de m’assurer où en sont vos douleurs de cœur. Du reste je ne sais pas à quoi passe ma journée, mais je ne viens à bout de rien. Je n’ai pas encore fini l’histoire Barthélémy et Cournet [2]. Et pourtant je ne sors pas et je ne reçois personne et je ne m’amuse pas. Devineb si tu peux et choisis, si tu l’oses, l’énigme qui prend tout mon temps sans que je m’en aperçoive autrement qu’à mon impatience de te voir. Je commence même à trouver que tu te fais bien longtemps attendre, mon cher petit occupé, mais au fond je ne m’en étonne pas car je sais que tu travailles et qu’on se dispute autour de toi toutes les minutes dont tu peux disposer. Je me résigne donc tant bien que mal à n’arriver qu’après tout et tout le monde, espérant que ton cœur me tiendra compte de ma patience et de mon courage en m’aimant un peu plus qu’un PEU. En attendant, j’espère que tu trouveras moyen de t’échapper pour venir travailler auprès de moi. Aussi, je viens d’allumer un bon feu à cette intention et je vais me dépêcher d’en finir avec cette triste histoire de duel pour n’avoir plus qu’à vivre auprès de toi sans autre préoccupation que de t’aimer et d’être heureuse.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 113-114
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « fusse ».
b) « devines ».

Notes

[1Médecin Yvan Melchior

[2Hugo lui a raconté l’histoire du duel fatal entre Barthélémy et Cournet, que lui a vraisemblablement raconté Boichot. Le manuscrit conservé à la Maison Victor Hugo de Paris publié avec le titre « Souvenir d’une conversation de M.V.H. le 14 décembre 1854 » évoque le duel entre Barthélémy et Cournet. (cf. Juliette Drouet, Souvenirs 1843-1854, texte établi, présenté et annoté par Gérard Pouchain, Éd. des femmes / Antoinette Fouque, p. 317-318). Juliette aurait-elle rédigé une autre note manuscrite sur Cournet et Barthélémy, antérieure au texte repéré dans les collections du musée Victor Hugo ? Le nom de Cournet réapparait dans Les Misérables.

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