Bruxelles, 8 mai 1852, samedi matin, 8 h. ½
Bonjour mon ineffable bien aimé, bonjour, je vais bien je t’aime, et toi ? J’espère que tu auras réparé cette nuit l’insomnie de la nuit passée et que tu vas aussi bien que je le désire [ce ?] matin. J’attends avec impatience pour le savoir positivement et pour connaître ce que l’on te veut à la police. Je ne sais pas pourquoi je pressens quelque tentation de vexation de la part de Bonaparte. Vexationa bien inutile puisque nous sommes préparés à tout. Mais après avoir fait des platitudes réalités avec le plus honteux dédain pour toi et pour les tiens, je crois qu’il fera tout au monde pour tâcher de se venger. De près ou de loin, il en sera pour ses frais de turpitudes et pour sa courte honte car heureusement ta liberté, ta sécurité et celles de tes enfants ne sont plus en son pouvoir. Dieu merci. Aussi, j’attends sans inquiétude le résultat de ta démarche à la police. S’il faut partir tout de suite je suis prête [1]. La patrie, le bonheur, la vie sont avec toi. Partout où je pourrai te suivre je serai heureuse. Peu m’importe le lieu et la latitude. Tous les pays et tous les climats sont bons pour aimer et pour être aimée. Et pour peu que Jersey [2] te sourie et soit propice à ta santé rien ne s’oppose à ce que nous y allions tout de suite sans attendre les querelles d’Allemands de la police belge. Mais je jabote comme une pie borgne, sans savoir de quoi il est question, tandis que j’ai le cœur plein de douces choses que je veux épancher.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16371, f. 3-4
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette
Bruxelles, 8 mai 1852, samedi après-midi, 14 h. ½
Je vous demande la permission de rester chez moi, mon petit homme, parce que je suis encore un peu patraque et que je crains le fond de l’air qui me paraît encore un peu aigre pour la saison. D’ailleurs j’ai à ÉCRIRE à mes nombreux amis sans parler de mon TRAVAIL qui lui aussi est en retard par suite de cette ridicule petite indisposition. Je pense que voici l’heure où tu dois te rendre au rendez-vous de ton mouchard belge. Je voudrais savoir ce qu’il te veut afin de préparer tout de suite nos sacs de nuit s’il est nécessaire. J’étais assez patraque ce matin, mais la pensée d’avoir besoin de mes forces pour fournir ma course d’ici à Londres et Jersey m’a redonné du courage et des forces et je me sens prête à tout dans ce moment-ci [3]. S’il faut se mettre en route ce soir, je ne me ferai pas attendre tant j’ai de cœur au ventre et dans les jambes. Pourvu que je te sache bien portant, en liberté et heureux je suis capable de tout QUAND TU VOUDRAS. Aussi ne me ménage pas, mon doux adoré, car plus tu useras de moi plus il me restera de santé, d’amour et de dévouement à ton service. Est-ce que le chemin de la rue de Jérusalem bruxelloise n’est pas sur celui du passage du Prince n° 10 [4] ? Est-ce que tu ne pourrais pas monter jusqu’à mon troisième étage en passant ? Cela me rendrait bien heureuse. Cependant je n’y compte pas car je suppose que ton Charlot voudra t’y accompagner ce qui est trop naturel. Mais je te supplie de venir le plus tôt possible car je t’attends avec toute l’amertume de mon amour.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16371, f. 5-6
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette