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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Bruxelles, 7 février 1852, samedi matin, 8 h.

Bonjour, mon bon petit homme, bonjour de tous les amours à la fois. C’est aujourd’hui que je commence mes fonctions de cordon bleu. Dieu veuille que je réussisse car rien ne serait plus humiliant pour moi que de faire fiasco dans une chose aussi simple et rien ne vous serait plus désagréable que de faire un mauvais déjeuner. J’ai oublié de te demander hier au soir à quelle heure tu étais sûr de ne pas pouvoir venir me voir. Tu comprends, mon cher petit homme, combien il me serait pénible de manquer un seul des pauvres petits rares moments que tu peux me donner. Il n’y a pas de Reybaud, d’Yvan et de santé qui vaillent ce sacrifice. Aussi je ne le ferai jamais sciemment et volontairement. Aujourd’hui si tu viens assez à temps pour que je sorte, je le ferai, sinon je resterai chez moi à t’attendre. Rien dans le monde ne pourra me faire changer de résolution. Je n’ai pas besoin, sous prétexte de me guérir d’un mal incurable, de me faire crever beaucoup plus tôt. En attendant je vais laver toute ma batterie de cuisine et préparer mes comestibles. Fichtre c’est la première fois que je vois le feu pour de bon aussi ne suis-je pas sans inquiétude sur le résultat de mes prouesses. AUDACES FORTUNA JUVAT [1]. Je n’y perdrai toujours pas mon latin, c’est déjà quelque chose. Baisez-moi, cher petit homme, et ne vous réveillez qu’au son de mes pistolets, je vous l’ordonne.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 67-68
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette 


Bruxelles, 7 février 1852, samedi soir, 4 h. ½

Je fais pourtant tout ce que je peux, mon cher adoré, pour que tu sois content de moi et je vois avec regret que je n’y parviens pas. Peut-être exiges-tu l’impossible, mon bien-aimé, quand tu veux que j’aie loin de toi la même gaîté et le même bonheur que lorsque tu es tout-à-fait avec moi. Je t’assure, mon bon et bien-aimé petit homme, que je n’ai aucune amertume contre toi, que je ne te fais aucun reproche et que je ne vois pas comment tu pourrais faire pour me rendre plus heureuse la position donnée. Je suis pleine de courage et de confiance. J’ai le cœur rempli de reconnaissance envers le bon Dieu qui t’a si miraculeusement sauvé. J’ai l’âme électrisée d’admiration en pensant à toi. Je t’aime, je suis heureuse, seulement je ne suis pas gaie de cette gaîté extérieure qui vient des nerfs et de la rate plutôt que de la raison et du cœur. Cependant puisque tu le désires, mon doux adoré, je rirai, je chanterai, je danserai même si tu l’exiges car avant tout je veux que tu sois content.
Il me paraît bien difficile que tu reviennes ce soir. Girardin n’est pas homme à vous lâcher comme cela tout de suite. Mais le fût-il que tu as promis à ton fils de le mener au théâtre. Ainsi de toute façon il n’y a aucune chance pour que je te revoie aujourd’hui. C’est le cas de montrer mon courage en action et de sourire et de chanter. Je vais essayer tout à l’heure pour que mon sourire et ma voix t’arriventa comme une douce joie et une mélodie mystérieuse qui te fasse penser à moi sans ennui et sans remordsb. Mon Victor je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 69-70
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « arrive ».
b) « remord ».

Notes

[1La fortune sourit aux audacieux.

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