Paris, 28 mars [18]72, jeudi matin, 9 h.
Bonjour, mon cher bien-aimé, j’espère que tu as bien dormi. Quant à Petite Jeanne il paraît qu’elle n’a fait qu’un somme toute la nuit et, pour Mariette, son mieux s’accentue tous les jours davantage et son appétit aussi. Te voilà au moins rassuré de ce côté-là. Je te remercie de m’avoir envoyé de la copie. Je vais m’y mettre séance tenante aussitôt après mon gribouillis. J’écrirai aussi au marchand de bois pour lui demander la moitié de la provision que nous avons l’habitude de prendre pour toi et pour moi en une seule facture puisque tout sera logé chez moi et que c’est moi qui paie d’ordinaire pour toi et pour moi. À moins que tu n’y voies un inconvénient, ce que je te prierais de dire à Suzanne quand elle t’apportera ton déjeuner. Je lui recommande en outre de penser à te donner ton change de linge et de flanelle. Je ressemble en ce moment aux personnages de mélodrame qui se racontent leur propre histoire, qui n’intéresse personne. Je te dis tous les jours les choses d’aujourd’hui que tu ne liras que demain avec une naïveté bête qui n’appartient qu’à mon institution. Cha n’est pas chale mais cha tient de la place et aussi lieu d’esprit [1]. Enfin, mon adoré, comme je ne pas qu’y faire, comme dirait Peter, je te prie de me continuer ton indulgence et de m’aimer tant que tu pourras. Je te donne mon cœur et mon âme pour un peu d’amour.
BnF, Mss, NAF 16393, f. 84
Transcription de Guy Rosa