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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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4 juin 1852

Bruxelles, 4 juin 1852, vendredi matin, 7 h.

Bonjour, mon doux adoré, bonjour, beau jour, bonne santé, joie et bonheur à toi. Je vais me mettre à copier tout de suite afin d’avancer en même temps que toi. Peut-être ce soir remonterai-jea copier si la tête me le permet car je ne te verrai pas et c’est le seul moyen pour moi de te voir à travers ton génie. D’ailleurs il faut que je m’habitue dès à présent à me sevrer de toi pour ne pas passer brusquement de ta douce vue à l’isolement complet. Hier, mon bien-aimé, tu paraissais douter, je ne sais pourquoi, de mon courage et tu paraissais craindre pour moi la vie à l’étranger comme si tu ne portais pas avec toi courage, patrie et bonheur. Peut-être, mon bien aimé, n’as tu pas formulé assez nettement ce que tu attendais de moi dans tous les cas. Je te supplie de me le dire très positivement et quelle queb soit la chose que tu désires, je suis sûre d’avance d’avoir la force de l’exécuterc. Je ne peux pas devancer ta pensée car sans cela je ne te donnerais pas la peine de me la dire tout entière. Mais je t’assure que rien ne m’est impossible pour assurer ta tranquillité et ton bonheur. Commande et j’obéis à l’instant même. Je n’ai jamais compris autrement mon amour pour toi. C’est ce que j’aurais voulu pouvoir te dire hier au moment où tu t’inquiétais de mon séjour à Jersey si je ne m’étais pas défié un peu trop de moi-même. Mais ce que la bouche n’ose pas dire la main a la force de l’écrire et je t’assure que tu peux m’en croire. JE SUIS PRETE A TOUT. Aussi mon Victor ne prend aucun soin de moi. Arrange ta vie comme tu l’entendras. Si mon voisinage te gêne ou t’embarrasse, écarte le tout à fait car ton cœur s’éloignerait d’autant plus du mien que tu t’imposerais le devoir odieux de vivre près de ma personne. Je te le dis sans amertume et sans ostentation de bravoure et de générosité, je ne veux pas m’imposer à toi.
Mon Victor je t’aime. Ton sourire c’est ma joie, ton amour c’est ma vie. Quelque part que tu sois et dans quelque condition que nous nous trouvions si tu me souris et si tu m’aimes, je suis la plus heureuse des femmes. Mais si tu m’aimes moins il n’y a plus rien en ce monde pour moi et tous les coins sont bons pour mourir.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 101-102
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « remontrai-je ».
b) « quelque ».
c) « éxécuter ».


Bruxelles, 4 juin 1852, vendredi après-midi, 2 h.

Tu sais, mon pauvre petit homme, que si tu ne viens pas d’ici au dîner cette triste et longue journée aura passé pour moi sans aucun rayon de bonheur car tu ne pourras pas revenir ce soir puisque tu passes ta soirée chez Van Hasselt. Cependant comme tu t’appartiens moins que jamais je prends dès à présent mon courage et ma résignation à deux mains et je t’attends sans grand espoir de te voir. Je tâche de donner le change à mon cœur en me plongeant corps et âme dans ton manuscrit. Mais l’admiration n’est pas précisément le bonheur et je finis toujours par m’apercevoir de ton absence. Il paraît que tu as eu quelqu’un à déjeuner ce matin. Cela ne peut pas être ton fils Victor car il me semble que Suzanne l’aurait reconnu par sa ressemblance avec toi. Après cela elle est si peu physionomistea qu’elle a bien pu ne rien reconnaître du tout. Mais mon petit homme vous ne m’avez pas envoyé la chose qui pique le plus ma curiosité, la LETTRE D’ENVOI. Aussi je ne vous en tiens pas quitte et je vous prie de ne pas l’égarer avant que je ne l’ai vue. Je ne sais pas seulement comment vous pourrez vous servir de ces magnifiques bretelles car elles sont plus brodées que commodes. Quant aux jarretières, Mlle Dédé saura bien les employerb. Tout cela, cher petit homme, est très gentil si cela vient d’une soirée honnête mais Dieu et votre conscience savent seulement à quoi s’en tenir sur ces produits de la reconnaissance féminine. Quant à moi je vous crois, c’est encore le meilleur parti. Mon Dieu que ce que je copie est donc beau. Je ne peux pas m’en rassasier. Depuis ce matin 7 h ½, je suis plongée dans vos chers petits sublimes griffouillis sans prendre le temps de passer une robe, je descends faite comme une sorcière au second déjeuner pour ne pas perdre un coup de plume et un seul de vos rayons de soleil. Je vous copie, je vous admire, je vous aime, je vous adore, ainsi passe mon temps.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 103-104
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « phisionomiste ».
b) « emploier ».

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