21 mai [1839], mardi matin, 11 h. ½
J’ai reçu ta lettre, mon adoré, avec autant de surprise que si je ne l’avais pas attendue [1]. J’ai fait un cri de joie en la recevant qui serait arrivé jusqu’à ton âme si les oreilles n’empêchaient pas d’entendre à cette distance de la rue Saint-Anastase à la Place Royale [2]. Toi-même, mon bien-aimé, tu n’aurais pas été plus fêté, plus baisé et mieux accueillia que l’a été ta chère petite lettre. Je la buvais du regard, des lèvres et de l’âme. Mon Dieu que je t’aime. Voilà déjà bien des fois que je te le dis ? Eh bien, ce n’est pas usé du tout ; c’est encore tout neuf, tout frais et tout entier dans mon cœur. Je t’aime comme le premier jour. Je t’aime plus s’il est possible d’aimer plus que plein son âme. Que ta lettre est adorable, mon Toto, et que tu es heureux de pouvoir dire de si belles choses. Moi je les sens mais rien ne sort complet de toutes les merveilles d’admiration et d’adoration qui remplissent mes pensées et mon cœur. Enfin, ce n’est pas ma faute, le Bon Dieu a fait les femelles inférieures en tout aux mâles : dans les oiseaux, le plumage, dans les quadrupèdes, le pelage et dans les humains l’esprit de la femme. D’ailleurs tout est bien ainsi et je n’ai pas besoin d’esprit pour t’adorer. Je t’écrirai encore une grosse lettre ce soir ; je veux racheter la qualité par la quantité en amour. C’est un très bon principe car beaucoup aimerb c’est bien aimerc et comme je t’aime de toute mon âme tu n’as pas à te plaindre. Bonjour un To, merci mon adoréd. Je baise ta petite lettre d’une main et je t’écris de l’autre, c’est ce qui s’appelle ne pas perdre de temps.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16338, f. 189-190
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Florence Naugrette
[Souchon]
a) « acceuilli ».
b) « aimé ».
c) « aimé ».
d) « adorée ».