29 septembre 1879

Paris, 29 sept[embre] [18]79, lundi matin, 7 h. ½

Cher bien-aimé, il ne manquerait rien à ma bonne nuit si j’étais sûre que la tienne a été meilleure encore. En attendant cette douce confirmation je tâche de faire de mon espérance une certitude.
Je pense déjà à la difficulté des préséances ce soir à table. J’avoue que si j’y avais pensé hier je me serais privée d’inviter ta princesse [1] pour aujourd’hui. Enfin puisqu’il n’y a pas moyen de revenir là-dessus il faut prendre son parti et faire sauter à pieds joints (pourvu que ce ne soit pas dans nos plats) les préjugés nobiliaires devant les grands principes démocratiques : Liberté, Egalité, Fraternité. Tant pis pour ceux qui ne le comprennent pas. Donc, ce soir, pas de changement dans la distribution des places à table, il faut que les premiers, par le mérite comme par le cœur, soient toujours les premiers pour toi comme pour moi. Si tu trouves et si tu admets une autre solution tu me l’indiqueras et j’y obéirai, comme toujours.
Il va falloir faire ouvrir les cheminées le plus tôt possible car il fait vraiment bien froid aujourd’hui. J’espère que cette sévérité de température va forcer notre cher Paul Meurice à revenir de Veules tout de suite. Peut-être même demain, mardi, jour choisi par lui pour la fondation du dîner en famille chez toi bi-hebdomadaire^a. Pour ma part j’en serais ravie car rien ne m’est plus doux que la présence et l’intimité de cet aimable, excellent et généreux ami, si ce n’est de t’aimer tout âme dehors comme je le fais à tous les instants de ma vie.

[Adresse]
Monsieur Victor Hugo

BnF, Mss, NAF 16400, f. 231
Transcription d’Apolline Ponthieux assistée de Florence Naugrette

a) « bis hebdomadaire ».