Paris, 1er juin 1881, mercredi matin, 5 h. ½
Cher bien-aimé, je ne suis pas bien sûre si tu dormais tout à l’heure quand je suis allée ouvrir ta porte et tourner silencieusement autour de ton lit en te couvrant des saint baisers de mon âme. Tu semblais agité et cependant tu n’as pas ouverta les yeux, ce qui me fait espérer que tu dormais.
Tes journées, depuis quelque temps, sont si bien remplies qu’il est juste que tes nuits soient longues et bonnes. Dors, mon doux adoré, et regarde passer dans ton rêve mon âme qui te bénit et te sourit.
Le temps est admirablement beau ce matin et ton jardin, avec les ailes blanches qui glissent sur ton bassin, ressemblerait à un coin du paradis si tes deux adorables enfants s’y promenaient en ce moment.
J’espère que la nuit aura été bonne pour ton cher Petit Georges. Sée a bien promis que le salicylateb [1] opèrerait presque instantanément. C’était aussi ce qu’Allix avait prescrit dans la journée, à ce que m’a dit Mme Alice. Pauvre Petit Georges, il est bien temps que ses bobos d’hiver s’en aillent pour qu’il s’ébatte joyeusement dans la vie et au soleil pour le plus grand plaisir de nos yeux et pour le plus grand bonheur de nos cœurs. C’est ce que je demande à Dieu avec toute mon âme pour lui et pour nous et pour toi, particulièrement, dont il est l’espoir.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16402, f. 119
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette
a) « ouverts ».
b) « solicilate ».