2 novembre [1841], mardi matin, 11 h. ¾
Bonjour, affreux blagueur, vous méritez des claques, des giffes et autres légumes cheeses à indiscrétion.
Pourquoi n’êtes-vous pas revenu ce matin ? Probablement parce que vous êtes sûr de ne pouvoir pas venir ni dans la journée ni le soir ? Alors je comprends la machine. C’est fort adroit et mérite toute sorte d’encouragement, aussi soyez tranquille, on vous en donnera sur les doigts, sur le nez et ailleurs.
Vous êtes cause que je me lève à des heures indues et quoique ma pendule avance [1], il n’en est pas moins indignement tard. J’ai à TRAVAILLER, MOI, et j’ai ma dépense du mois dernier à compter, je n’ai pas de temps à PERDRE. Vous devriez savoir cela, affreux bonhomme.
Et votre procès, quand se juge-t-il [2] ? Et moi, quand me viendrez-vous voir et quand m’aimerez-vous ? Ça n’est pas tout de suite, n’est-ce pas, affreux bonhomme. Taisez-vous, vous êtes une bête. Soir Toto, jour mon petito. Je n’ai plus qu’un mois et 28 jours [3]. Ah ! il me vient une idée, si je…. il n’y a pas de doute que….. et alors…. ça serait gentil, moelleux et douceâtre.
En attendant, j’ai remis la moitié de ma chaise à sa place et je continue à me meurtrir mon pauvre turlututu. J’enverrai chez Jourdain peut-être tantôt pour le presser outre mesure car je ne trouve pas cette manière de m’asseoir assez douillette [4]. Je ressemble trop, de cette face-là seulement, à l’amour espagnol de Julie assis sur des rochers [5]. Baise-moi, monstre, et crains ma fureur.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16347, f. 83-84
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
2 novembre [1841], mardi soir, 6 h. ½
Je n’ai pas encore fermé mes croisées, mon amour, et voici qu’on allume mon feu. Je n’ai pas encore copié ni fait mes comptes mais je te promets de m’y mettre d’arrache-pied tout à l’heure jusqu’à ce que ce soit fini. Enfin, mon Toto, je vous aime.
Dites donc, mon Toto, il m’est venu une idée tantôt, si bien que j’ai envoyé Suzanne chez le Jourdain et qu’on m’a promis un fauteuil et une chaise pour demain. Hein ? Que dites-vous de l’idée, elle est un peu chouette, n’est-ce pas ? J’ai envoyé aussi chez ces pauvres Lanvin qui sont tous bien tristes et bien éclopés. Pauvres gens, c’est vraiment une calamité que leur vie à tous. Aimons-nous, mon Toto chéri, aimons-nous car qui sait ce que Dieu nous réserve.
Je n’ai pas copié tantôt parce que je me lève trop tard et que mes triquemaques finis ainsi que ma toilette, il fait nuit. Mais comme je n’ai pas mal à la tête ce soir, je vais bien rattraper le temps perdu. Il faut cependant que je fasse encore mes comptes en attendant, soir par soir. Toto, dès que vous aurez lu cet informe gribouillis, vous êtes prié et suppliéa de revenir tout de suite vous fourrer dans mon lit.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16347, f. 85-86
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « suplié ».