24 septembre [1841], vendredi après-midi, 2 h. ½
Mon bon petit bien-aimé, j’espère que tu ne prends pas en mauvaise part ce que je te dis en riant et en bougonnant, ce qui est la même chose ? Voici Lafabrègue qui vient de venir et à qui j’ai donné 20 F. 10 sous que je lui devais, y compris les brodequins de Claire ; ceci fait une fameuse brèche à mon argent. Cependant je n’ai pas encore touché à tes cinquante francs mais cela ne tardera guère, surtout si j’envoie payer Dabat et l’épicier. Qui paie ses dettes s’enrichit, dit le proverbe, ce qui me paraît un PARADOXE soigné.
Je voudrais bien revoir Ruy Blas, moi, il me semble que j’en ai le droit et que vous ne feriez que votre devoir en nous y menant ce soir [1].
Cette pauvre Claire retourne dans huit jours à la pension et n’aura pas eu grand plaisir à étaler sur tout son mois de vacances, si ce n’est d’être toujours enfermée avec moi qui ne suis rien moins que drôle quand tu n’y es pas. Mais il ne faut pas tant de beurre pour faire un quarteron ni tant de paroles pour prouver qu’on est dans son droit en désirant aller voir Ruy Blas chaque fois qu’on le donne. D’ailleurs j’ai besoin de m’édifier à l’endroit de Frédérick et de ses rhumatismes pour exprimer mon OPINION sur lui.
Dites donc, mon cher petit Toto, je vous aime. Ça n’est pas neuf ni nouveau mais c’est aussi frais que le premier jour. Pauvre ange bien-aimé, c’est bien vrai que je t’aime comme le premier jour. Je suis plus que jamais en admiration et en adoration devant ta divine petite personne. Je voudrais baiser la place où tu marches, je voudrais mourir pour toi. Mon Toto, mon Toto, je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16346, f. 243-244
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette