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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 septembre [1841], jeudi soir, 10 h. ¼

Je ne pouvais pas t’écrire, mon amour, pendant que Mme Pierceau était là. J’ai attendu qu’elle soit partie ainsi que les petites Bensancenot qui étaient venues passer la soirée avec Claire et puis voir M. Doi [1]. J’ai peur, mon pauvre enfant, que tu ne sois engagé dans quelque coin, attendant que la pluie cesse. Je voudrais bien être de deux heures plus vieille pour savoir si tu n’es pas trempé de la tête aux pieds. Il faut toujours que j’aie quelque inquiétude à votre sujet. Quand ce n’est pas sur votre fidélité, c’est sur votre santé, je ne puis pas être un moment tranquille.
Voici la sonnette de la porte, si ça pouvait être vous ! Mais non ça n’est pas vous, vous n’êtes pas si bête que de venir bien vite où vous êtes désiré. Vous aimez bien mieux rester sous la pluie comme un canard que de vous mettre à l’abri dans une bonne chambre chez une bonne Juju qui vous adore. Je ne vous dirai pas l’âge du capitaine Lambert, vous pouvez bien en être sûr [2]. Il me semble de plus en plus que votre goulot ne vaut pas ma malle et j’ai bien envie d’attendre pour terminer le marché que vous m’ayez apporté un bon boni [3] d’une belle petite boîte à volets que je n’aurai pas volée quoique vous m’en promettiez UNE [4]. Taisez-vous, monstre, je vous vois venir avec vos gros sabots : – mon serment, mon serment, mais que veux-tu donc ? Je te jure que tu es fou, il est fou, il est fou. Mon Dieu, c’est désespérant d’avoir affaire à des gens pareils dans des occasions sérieuses. Ia, ia, scélérat, mais je crois cette fois que te voici et j’en suis si bien aise que je te donne ma malle et tout le TREMBLEMENT de joie de te revoir.
Malédiction ! Damnation ! Mort et enfer ! Ce n’est pas toi. Je reprends ma malle et je la garde plus que jamais.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16346, f. 225-226
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Depuis 1839, il semblerait que Résisieux et sa sœur appellent ainsi Victor Hugo, pour une raison inconnue (voir les lettres du 14 et du 21 février 1839).

[2À élucider. Cette expression revient à plusieurs reprises en été. Les fils Hugo se préparent à passer le concours général et l’âge du capitaine est une plaisanterie commune pour moquer les problèmes insolubles posés aux élèves. Quant au nom de Lambert, il fait peut-être référence à l’anecdote concernant James Lambert, vieillard de 84 ans, qui réclame en 1841 une pension de l’État devant le Tribunal des successions et tutelles du Comté de Dearborn, dans l’État de l’Indiana, pour récompenser ses faits d’armes lorsqu’il était soldat milicien pour l’armée de la révolution pendant la guerre entre la Grande Bretagne et les États-Unis de 1779 à 1780. Or, justement, le 23 juillet 1841, soit la veille de la première occurrence de la plaisanterie de Juliette, Lemuel Hungerford, ancien soldat âgé de 79 ans, fait une déposition devant la Cour au sujet du cas de James Lambert, confirmant l’avoir rencontré à l’époque en service. (Informations traduites de l’ouvrage en anglais de son descendant : Georges Robert Lambert, James Lambert (1758-1847), An Elaboration of His American Revolutionary War Service in the Virginia Militia and Virginia Line Based Upon a Comprehensive Analysis of His Pension File No R 099 and Further Extensive Research, AuthorHouse, Indiana, 2009.)

[3Bénéfice ou excédent.

[4Voir la lettre de la veille au soir : Juliette veut une boîte à volets en échange d’une malle qu’elle arrange et elle réclamera régulièrement l’objet toute l’année. Elle l’obtiendra finalement le 19 novembre.

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