25 avril [1841], dimanche, 11 h. ¾
Bonjour mon petit bien-aimé, bonjour mon adoré, bonjour mon âme. J’ai été bien malheureuse toute la nuit, j’ai eu un affreux cauchemar comme celui de notre dernière nuit sur le Rhône tu sais [1] ? J’ai rêvé qu’à force de te presser et de te demander si tu étais allé hier au théâtre tu me répondais que oui mais avec un accent qui prouvait que tu ne m’aimais plus. J’en avais tant de désespoir que j’ai pris le couteau en bronze que tu m’as donné et que je me le suis entré tout entier dans le cœur. Je me suis réveillée à l’affreux cri que j’ai poussé dans ce moment-là, toute en larmes et toute en sueur. Mais cela ne m’a pas empêchée de recommencer le même rêve trois fois de suite, toujours avec d’affreux désespoirsa. Maintenant que je suis éveillée je suis plus tranquille, il me semble impossible que tu puissesb me tromper jamais. Tu es trop bon, trop noble et trop divin pour cela. Je t’aime mon Toto, je te vénère mon amour, je t’adore mon sublime bien-aimé. Je ne pense qu’à toi, je ne désire que toi, je ne vis que par toi et pour toi.
Quand te verrai-je mon chéri ? J’ai faim et soif de toi, je voudrais baiser tes chers petits pieds blancs et roses comme ceux de mon pigeon [2]. Je voudrais boire ton âme sur tes lèvres. Je t’adore mon Toto, je suis folle de vous. Pense à moi, mon cher petit homme, et viens me voir bien vite. Il fait beau quoiqu’il fasse grand vent et que tu n’aies pas tué six loups [3].
Juliette
BnF, Mss, NAF 16345, f. 87-88
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « désespoir ».
b) « puisse ».
25 avril [1841], dimanche soir, 4 h. ½
Vous êtes un monstre, je ne m’en dédis pas, arrangez-vous là-dessus comme vous voudrez. Plus souvent que je vous laisserai répondre à Mme Bligny [4] : Oscar s’avance, Oscar je vais le voinre. Je ne veux pas du tout que vous lui donniez le mouchoinre et qu’elle puisse chanter : à ma rivale OSCAIRE m’a préférée [5]. Je n’entends pas de cette oreille-là du tout.
Jour Toto, jour mon cher petit Toto. J’ai oublié de te demander comment allaienta les yeux de ton pauvre petit cascarinet [6]. Pour les tiens tu devrais venir les baigner plus souvent, cela nous ferait du bien à tous les deux car moi c’est mon âme que j’ai besoin de baigner et de rafraîchirb toujours dans ton souffle. Je te vois si peu, mon pauvre amour, que je ne sais pas comment je peux vivre avec si peu de joie. Oh ! mon Dieu, je blasphème car les quelques minutes que je passe en extase devant toi suffisentc pour me dorer la vie et pour en faire une vie d’amour et de bonheur ineffable que je ne changerais pas contre toutes les richesses du monde. Je t’aime, mon amour, crois-moi bien car c’est la vérité sacrée. Voici Joséphine toute pâle et toute souffrante qui entre chez moi [7]. Je t’embrasse encore, mon amour, avant de lui dire bonjour.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16345, f. 89-90
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « allait ».
b) « raffraichir ».
c) « suffit ».