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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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4 juillet [1841], dimanche matin, 10 h. ¼

Bonjour mon Toto bien-aimé. Pourquoi n’es-tu pas venu, mon amour ? J’espère que ce n’est pas à cause de la mère Krafft et de sa sœur car alors je serais capable de leur faire un mauvais parti et de les recevoir tantôt comme des chiens dans un jeu de quilles [1]. Je ne connais rien qui puisse me faire accepter ton absence, je déteste tout ce qui tend à t’éloigner de moi d’une seconde seulement. Pourquoi n’es-tu donc pas venu, mon amour ?
J’ai toujours bien mal à la tête et les paupières gonflées comme si j’avais eu un coup de sang, de plus j’ai ma douleur de cœur. Cependant ce n’est guère le moment car il fait beau et voilà trois jours que je sors de suite. Tu m’aimes et je t’aime, ainsi je devrais me porter comme un charme. Peut-être y a-t-il quelque chose qui mea manque, et un quelque chose de très essentiel pour ce genre d’indisposition. Mais ceci vous regarde et je n’y peux rien que souffrir et me taire en murmurant ou mur murant [2].
J’entends et je prétends copier vos OURS [3] sans préjudice d’aucun calembourb, ainsi apportez-les moi bien vite. Sur ce baisez-moi et tâchez de venir très tôt. Je vous aime mon Toto adoré, je t’aime mon amour.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16346, f. 13-14
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « me me ».
b) « calembourg ».


4 juillet [1841], dimanche après-midi, 1 h. ¾

Je t’écris ma seconde lettre bien près de la première, mon amour, parce que je crains que ces péronnelles ne viennent de bonne heure et qu’elles m’empêchent ou du moins me gênent pour te donner ce petit gribouillis quotidien dans lequel je mets tant bien que mal toutes mes pensées et tout mon cœur.
Tu dois être bien heureux aujourd’hui, mon cher petit ver à soie, car il fait une chaleur étouffante ? J’en suis bien aise pour vous car pour moi cela ne me réussit qu’à moitié. J’espère, mon Toto chéri, que la présence de ces femelles ne vous empêchera pas de venir et de rester chez moi autant que vous le voudrez ? Et que vous me ferez sortir ce soir si vous pouvez ? Je ne consens à les recevoir qu’à la condition expresse de ne pas te déranger en rien, autrement je les enverrais promener excessivement loin.
Baise-moi mon cher bien-aimé, baise-moi mon adoré. Vous m’avez fait une belle souleur [4] hier au soir avec votre pot. J’ai cru que c’était une tuile qui me tombait sur la tête, et quelle tuile !!! Au reste nous avons mieux fait de résister et de m’acheter des bas. Je vous aime, qu’on vous dit.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16346, f. 15-16
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

Notes

[1En général, le dimanche soir, quelques amies de Juliette Drouet viennent dîner chez elle. Il s’agit de Mme Triger, de Mme Guérard, de Mme Besancenot et de Mme Pierceau, beaucoup plus rarement de Mme Krafft.

[2Juliette reprend souvent cette citation de Michel et Christine, comédie-vaudeville d’Eugène Scribe créée le 3 décembre 1821 au Gymnase dramatique, où Stanislas chante, à la scène 14, sur l’air de « Je t’aimerai » : « Sans murmurer, / Votre douleur amère / Frapp’rait mes yeux… plutôt tout endurer… / Moi, j’y suis fait ; c’est mon sort ordinaire : / Un vieux soldat sait souffrir et se taire / Sans murmurer » (voir par exemple les lettres du 23 juin 1841 et du 19 novembre 1846).

[3Ours : Œuvre non encore publiée, « brouillon, canevas, ébauche ou version d’un texte inachevé » (TLF) qui appelle encore révision ou corrections.

[4Souleur (familier) : frayeur subite, saisissement.

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