31 janvier [1841], dimanche, midi ¾
Bonjour mon petit homme, bonjour mon Toto adoré. Vous n’êtes pas venu ce matin, méchant garçon. Peut-être avez-vous voulu assister à l’éblouissement de Dédé [1] ? À la rigueur, je comprends cela et j’en aurais probablement PAS fait de même, mais de votre part ça ne m’étonne pas et je vous pardonne pour cette fois-ci.
[Dessin]a
J’espère que vous n’abuserez pas de ma confiance et que vous m’indemniserez généreusement du sacrifice que j’ai fait en faveur de MADEMOISELLE DÉDÉ ? Je ne vous taxe pas, je le laisse à votre générosité et à votre conscience.
Voime, voime, avec ça que vous en avez beaucoup de conscience, ça sera gentil. Taisez-vous.
Il fait un froid de loup ce matin. Prends garde, mon amour, de ne pas t’enrhumer. Justement, tes manches sont fort minces et tu as laissé ici ton habit. Mets plutôt tes deux camisoles tricotées l’une sur l’autre que d’avoir froid.
Je t’aime mon Toto adoré, je t’aime mon cher bien-aimé. Pense à moi avec tendresse, mon petit homme, et tâche de revenir bien vite m’embrasser.
J’ai toujours mal aux entrailles [2]. Je ne sais que manger pour ne pas l’augmenter et cependant j’ai faim. C’est embarrassant, si vous étiez venu vous m’auriez conseillée et je ne serais pas dans cette AFFREUSE position. Taisez-vous qu’on vous dit et aimez moi si vous avez pour deux liards de cœur. Je t’aime moi, je t’adore toi.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 93-94
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) Dessin illustrant la remarque précédente : deux personnes dans une loge en observant une autre, ou Dédé applaudissant deux personnages Turcs ?
- © Bibliothèque Nationale de France
31 janvier [1841], dimanche soir, 4 h ¾
Je vous attends, mon Toto. Ne vous pressez pas, vilain monstre, vous serez toujours assez tôt près de moi, n’est-ce pas vieux Chinois [3] ? Moi je bisque, je rage tout mon soûla pendant que vous vous gobergez [4] chez les toupies [5] de divers calibres que vous courtisez. Vous êtes vraiment bien gentil et vous mériteriez d’être un des Turcs que je vous ai donnésb [6]. À propos d’eux, dites-moi donc ce qu’a dit la célèbre Dédé. J’espère qu’elle a dû être flattée de ce cadeau, c’est un fameux acompte dans sa collection de curiosités. Je pense que vous ne vous bornerez pas à de stériles remerciements envers moi qui vous ai donné l’occasion de faire le magnifique à mes dépens. Je vous préviens que j’attends toutes sortes de belles choses en échange et encore je ne suis pas sûre de n’y pas mettre du mien. Taisez-vous, taisez-vous, scélérat, et aboulez-moi votre gros machin qui tient de la place [7] et votre boîte en laque avec tous ses petits tiroirs [8]. Je ne peux pas recevoir moins.
Je crois que je serai obligée d’envoyer par la poste les lettres du douanier en chef à Mme Krafft [9] car je ne pense pas que la mère Pierceau vienne [10].
Tâchez, vous, de ne pas me faire attendre trop longtemps après un baiser que je désire depuis cette nuit.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 95-96
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « sou ».
b) « donné ».