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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 20 [1] décembre [18]63, samedia matin, 9 h.

Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour, amour, paix et bonheur à toi, mon doux adoré. J’espère que tu as mieux dormi que moi et que tu ne t’es pas trop aperçu hier du trouble de ma maison, c’est-à-dire de la raison de ma servarde, laquelle profite de toutes les occasions pour se livrer à son malheureux penchant à l’ivrognerie, moi seule je l’espère en a été humiliée et en a souffert dans mon for intérieur. Quant au service il a été ce que tu sais, plus des plats cassés à la cuisine et le désordre partout. Tout cela, mon pauvre bien-aimé, constitue pour moi une existence assez agitée et souvent lugubre car je me sens livrée peu à peu à une femme qui empiète tous les jours en caprice, en intempérance et en mauvais vouloir. Son avidité de l’argent croît en raison même de son mauvais service et je ne sais pas où cela s’arrêtera [pour peu que  ?] je continue à reculer lâchement comme je l’ai fait jusqu’à ce jour pour toi et par la difficulté de la remplacer, toute vicieuse qu’elle est. Mais je sens, je te le répète, que pour cette raison qu’elle connaît aussi bien que moi ma vie intérieure est attristée et inquiétée par ces commotions douloureuses qui se répètent de plus en plus souvent. Cette nuit je n’ai pas dormi du tout et mes nerfs étaient si agacés que j’ai pleuré à sanglots dans mon lit. Ce matin j’avais un mal de tête intense que je viens de tâcher d’apaiserb au moyen d’un bain de piedsc sinapiséd [2]. Je pense qu’il agira en bien et que tout sera rentré dans l’ordre quand tu viendras tantôt. En attendant je prends mon courage à deux mains et surtout dans mon amour et je t’aime immuablement de tout mon cœur et de toute mon âme comme si j’étais déjà au ciel.

J.


2 h. après-midi

Je n’ai pas dit un mot de reproche à Suzanne. À quoi bon ? Tu es sensé ignorer ce qui s’est passé hier car au moment où tu le sauras il faudra que tu te prononces d’une manière décisive, d’une façon quelconque. Le mieux, je crois, est d’attendre encore jusqu’à ce que je crie à l’aide.

BnF, Mss, NAF 16384, f. 294
Transcription de Gérard Pouchain

a) « dimanche ».
b) « appaiser ».
c) « pied ».
d) « cinapisé ».

Notes

[1Une lecture erronée de « 20 » (lu « 26 ») a fait déplacer le foliotage de cette lettre entre celles des 26 et 27 décembre.

[2Bain de pieds rendu plus actif grâce à de la graine de moutarde.

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