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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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17 janvier [1840], vendredi après-midi, 3 h. ½

Je suis habillée, mon Toto, mais j’ai la raison de ne pas compter sur toi et de songer à me dandiner plutôt que de sortir. Je ne t’en veux pas car, outre ta nature défiante et un peu taquine, tu as un tourbillon d’affaires qui suffirait pour t’empêcher de mettre une fois tous les huita jours le projet de me faire sortir à exécution. Baisez-moi mon Toto. Je vous aime et je vous trouve le plus adorable et le plus adoré des hommes, au moins pour ce qui me regarde. J’ai joliment bien fait de vous prendre de l’argent, le marchand de vin vient de venir avec ses deux quittances, bientôt ce sera le tour de l’épicier. Mon tonneau n’est pas prêt d’être plein, comme tu vois, pourvu que tu continues de m’aimer peu m’importe qu’il ne le soit jamais et même qu’il soit à sec tout à fait. Jour onjour noto. Il me semble que vous délaissez beaucoup la malheureuse et faible Codelka [1] ? Mme MARS vous a eu bientôt pris dans ses filets, si j’étais de Codelka je m’en vengerais d’une manière exemplaire et plus que CHINOISE. J’espère que vous ne vous plaindrez pas de la manière dont je supporte votre passion pour ces deux dames dont UNE ARTISTE ? Il n’y a que moi vraiment capable d’une pareille tolérance. Aussi je ne vous conseille pas de me changer.
Puisque vous ne me faites pas sortir ce soir au moins apportez-moi de la copie. Vous ne savez pas que c’est ma seule consolation, le seul moment où je vous écrase de ma supériorité quand je reproduis vos MÉDIOCRES dessins. Je vous engage à ne pas les perdre, ce sera un jour la FORTUNE DE VOS ENFANTS, dans quarante ans, dans cinquante ans, dans cent ans plus ou moins on s’arrachera les dessins de Mme Juju et l’histoire de la révolution de Juillet par l’illustre RICHI. Peut-être illustrera-t-on l’un par l’autre et alors ce sera prodigieux, pyramidal et renversant. Je sens déjà mon sarcophage tressaillir au bruit de la renommée que lui et moi ferons dans cent ans. Je voudrais déjà y être et vous tirer la longue langue de plusieurs pieds pour vous apprendre à avoir triomphé pendant votre vie ÉPHÉMÈRE. En attendant baisez-moi et laissez-moi le plus que vous pourrez racornir au coin de mon feu. Ça me donne mal à la tête et me rend un peu plus stupide que d’habitude mais cela vous tranquillisea et c’est tout ce qui faut. D’ailleurs le temps est parfaitement beau ce soir et ce n’est pas pour moi que le soleil reluit. S’il pleuvait à verseb à la bonne heure, j’aurais quelque chance de prendre l’air, pardon, je veux dire un parapluie. Baisez-moi et mettez-vous à couvert de mes SARCASMES car je vous adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 64-65
Transcription de Chantal Brière

a) « tranquilise ».
b) « averse ».

Notes

[1En 1839 paraît Un Amour d’impératrice, mélodrame de Louis Tourneur, suivi de Codelka, Correspondance d’une contemporaine. À la manière du XVIIIe siècle, la préface de cette partie fait parler un personnage « éditeur » des lettres qui lui ont été confiées à la fin de sa vie par l’épistolière, « modèle d’une patience angélique et d’une élévation d’âme » qui « n’a su qu’aimer » et dont le correspondant s’appelait… Victor.

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