Guernesey, 28 octobre [18]63, mercredi soir, 5 h.
Je voudrais passer ma vie à t’aimer, à te le dire, à te le prouver, et j’ai à peine le temps de te donner mon cœur en hâte avant la nuit close tant j’avais de choses en retard aujourd’hui et pourtant, mon adoré bien-aimé, mon cœur déborde d’amour, d’admiration, de bonheur et de reconnaissance. Que tu es bon, que tu es adorable, mon grand bien-aimé. Je ne peux pas te le dire autant que cela est vrai et d’ailleurs les mots ne suffisent pas à exprimer ce que j’éprouve de vénération pour ta suprême bonté. Tu as tous les dons charmants, sublimes et divins. Tu es le génie par excellence, tu es mon bien-aimé adoré. J’espère que cette séance au milieu de la poussière et de l’odeur de la peinture ne t’aura pas trop fatigué ni donné mal à la tête. Que de peine tu te donnes pour que je sois BELLE… c’est-à-dire ma maison, mais aussi comme c’est réussi ! Jamais on n’aura vu rien de si beau, d’aussi original ni d’aussi poétique. La margrave Sybille [1], elle-même, est distancée par cette chinoiserie de ton cru. Quelle merveille ! et penser que c’est pour moi que tu fais tout cela ! vraiment j’en suis presque confuse, cher, cher adoré, je te le répète, tu es bon comme tu es grand.
BnF, Mss, NAF 16384, f. 238
Transcription de Gérard Pouchain