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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 31 décembre 1855, lundi après-midi

Je ne sais pas précisément quelle heure il est, mon cher petit homme, je suppose qu’il n’est pas loin de quatre heures, mais ce dont je suis sûre c’est qu’il est toujours l’heure de t’aimer dans mon cœur. Je viens de finir de copire les deux pièces que tu m’as apportées hier. J’ai tenu à les copire tout de suite pour t’engager à m’en donnera d’autres et aussi parce que je n’ai rien où les serrer. Ces deux considérations m’ont donnéa de l’activité même au détriment de ma toilette qui n’est pas encore faite : QUEL MALHEUR ! Voime, voime, voime, avec cela que vous vous fichez pas mal de la BARBOUILLÉE [1].... Juju même quand elle propre. Témoin hier où vous m’avez bousculée, bafouée, ridiculisée et contristée plus que de raison. Il paraît que les infirmités morales ne vous inspirent pas la même indulgence et la même pitié que les infirmités physiquesb et qu’il vaut mieux être bossue comme Guérin que bête comme Juju. La difformité est plus intéressante que la stupidité, quoique l’une et l’autre ne soient pas du fait et du consentement de celui qui les subit. Cette inégalité de répartition de votre sympathie dans les deux cas m’afflige souvent au-delà de la résignation. C’est ce qui m’est arrivé encore hier au soir à mon grand regret car je sentais que mon chagrin tournait dans le cercle vicieux du regret d’être bête et du désespoir de te [illis.] voir. Cela, joint aux minutes comptées que tu avais à me donner, a failli éterniser mon tort. Heureusement que tu as eu du courage pour toi et pour moi en me montrant une grande bonté et un doux sourire avant de me quitter. Merci, mon adoré bien-aimé, merci, pour mon cœur, merci pour mon âme, merci pour ma nuit, merci pour tout. Je ne suis pas une dépositaire infidèle ni une femme ingrate et tout ce que tu me donnes en ce monde de patience et de tendresse indulgente, je te le rendrai au ciel en rayons, en paradis et en amour éternel. En attendant, il faut que je t’aime à quatre pattes jusqu’au jour où je t’emporterai sur mes ailes.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16376, f. 428-429
Transcription de Magali Vaugier assistée de Guy Rosa

a) « donnée ».
b) « phisiques ».


Guernesey, 31 décembre 1855, lundi soir, 10 h.

Je ne veux pas me coucher avant de te donner mon âme encore une fois, mon cher petit bien-aimé, avant de baiser le dernier maillon de l’année qui finit il me semble en fixant ma pensée constamment sur toi, que je rapproche ton cœur du mien par la force de l’attraction. Mon amour s’ingénie à se faire de douces illusions dont pas une ne vaut le bonheur réel de te voir un moment. Je n’ai pas osé te rappeler ma petite lettre dans la crainte de t’obséder [2]. C’est bien vrai, mon pauvre adoré, que j’ai souvent le scrupule de t’aimer trop. Je t’en demande pardon comme d’un tort véritable sans oser pourtant m’engager à t’aimer moins.
Cher petit homme, je veux PURGER ma contumace avec cette vieille année pour n’avoir qu’à t’aimer vertueusement l’année prochaine. Pour cela j’appelle de nouveau ton attention sur le danger que tu nous fais courir à l’un et à l’autre en renouant si galamment tes relations avec une personne si prompte à la tentation [3]. Si tu es absolument sûr de toi, mon cher petit homme, je ne veux pas te priver du plaisir d’être [aguiché, admiré  ?] et provoqué par une quasi homme qui met trop souvent sa jarretière au niveau de son cigare et qui livre sa gorge et sa pudeur à tous les [illis.]. Quant à moi, je suis la cible sur laquelle se joue cette partie de tir dont les projectiles entament plus ou moins mon bonheur, mais je n’ai pas le droit de me plaindre et de m’inquiéter tant que mon grand rond n’est pas entamé. Ainsi, mon cher adoré, je te permets de faire assaut d’adresse avec dame tant que vos REVOLVERS ne seront chargés que de coquetteries en liège et de galanterie en caoutchouc. Sur ce, je vous embrasse d’un an sur l’autre.a

Juliette

BnF, Mss, NAF 16376, f. 430-431
Transcription de Magali Vaugier assistée de Guy Rosa

a) Juliette a dessiné une cible, dont le centre est un cœur avec tout autour des trous provoqués par des projectiles :

© Bibliothèque Nationale de France

Notes

[1« Barbouillé » ici peut signifier « fou », « ridicule ».

[2Hugo joindra un dessin à sa lettre annuelle (publiée par Jean Gaudon, ouvrage cité, p. 213).

[3Juliette fait peut-être allusion à Léonie d’Aunet. Il a noté dans ses carnets le 24 décembre : « Le 24 j’ai écrit à P.M. De donner pour moi à Mme d’A 500 f. ce qui (M. ayant à moi 260 f.) me fera son débiteur de 240 f. », CFL, t. X, p. 1387. Léonie s’était habillée en homme pour participer à une expédition au Spitzberg.

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