Guernesey, 11 juin 1862, mercredi, 7 h. ½ du m[atin]
Bonjour, mon cher petit homme, bonjour. Dites donc, vous, vous me devez la moitié d’un sou, ne l’oubliez pas. Mon cher doux être, comment as-tu passé la nuit et comment vas-tu ce matin ? Je voudrais inventer un questionnaire pour exprimer ma sollicitude qui a l’air d’une banalité quand mon cœur tressaute en pensant que tu peux avoir mal dormi ou souffrir de quelque part. Je voudrais trouver des formules inconnues de tout le monde pour te dire la chose que tout le monde dit et que personne ne sent autant que moi : JE T’AIME. Mais mon intelligence n’étant pas en proportion de mon cœur, je ne trouve rien et je suis forcée d’en revenir aux lieux communs des premiers venus. C’est humiliant mais qu’y faire ? Il faudrait être toi pour bien te traduire mon moi, mais comme cela ne se peut pas, il faut que je me résigne à te dire mon amour comme je peux au hasard et devant mon âme tout simplement. Pourvu que tu sois heureux, que tu aies bien dormi, que tu te portes bien et que tu m’aimes, je remercie Dieu et je t’adore.
BNF, Mss, NAF 16383, f. 150
Transcription de Camille Guicheteau assistée de Guy Rosa