Jersey, 17 février 1855, samedi après-midi, 3 h.
Cher adoréa, je ne veux pas laisser passer notre pauvre doux anniversaire sans le saluer de l’âme et lui donner un petit sourire de cœur. Depuis vingt-deux ans, bien des choses tristes et douloureuses ont passé sur mon amour, mais rien n’a pu le flétrir ni l’amoindrir, et aujourd’hui je le sens en moi aussi jeune, aussi tendre, aussi dévoué, aussi vivant que le premier jour. J’ajoute encore : aussi SUPERSTITIEUX. C’est pour cela que je te prierai de m’écrire ce soir, malgré les graves et tristes préoccupations de ton esprit, un mot de consécration sur mon cher petit livre rouge [1]. En attendant, je repasse en pensée tous mes souvenirs de bonheur et je m’agenouille devant chacun d’eux. Tout à l’heure, j’ai cru te voir tourner dans Green [2], mais c’était une illusion car tu serais venu jusqu’ici, te trouvant si près de moi ? J’espère que, pour me dédommager de cette petite déception, tu viendras un peu plus tôt que de coutume. Cependant, je n’ose pas y compter pour n’avoir pas l’ennui d’une double impatience. Je vais COPIRE pour vous attendre avec plus de courage. Je t’adore.
Juliette
BNF, Mss, NAF 16376, f. 74-75
Transcription de Magali Vaugier assistée de Guy Rosa
[Souchon, Pouchain]