Guernesey, 22 février 1862, samedi matin, 8 h.
Bonjour mon ineffable bien-aimé, bonjour, je te souris à travers la tristesse des choses qui nous préoccupent en ce moment. Je t’aime, c’est-à-dire : je vis, je crois, j’espère en Dieu. Comment as-tu passé la nuit, mon pauvre adoré ? Je crains que tu n’aies pas une bonne réponse à faire à cette question qui m’intéresse presqu’autant que mon amour. J’ai peur que les chagrins de notre pauvre voisine [1] ne t’aient empêché de dormir. Cela, joint à ton travail excessif, n’est pas de nature à me tranquilliser beaucoup ; aussi tant que je ne t’aurai pas vu, et que je ne me serai pas assurée par moi-même de l’état satisfaisant de ta santé, je ne serai pas [contentée ?]. En attendant je dois T’AVOUER que j’ai passé une très bonne nuit, que je me porte très bien ce matin et que je trouve de plus en plus inutile, pour ne pas dire plus, d’aller chez Corbin tantôt, à moins que tu ne tiennes absolument à me faire profiter du proverbe : le mieux est l’ennemi du bien ou bien encore me mettre en chasse d’une bonne attaque de goutte en sortant par ce temps brumeux du reste. Ceci dit, pour l’acquita de ma conscience et de ma podagrerie, je ferai ce que tu voudras. Une vieille Juju sait… se bien porter et se taire sans murmurer, sans murmurer, sans murmurer [2]. Et puisqu’il faut une malade malgré elle comme pendant au médecin malgré lui, il vaut autant que ce soit moi qu’une autre.
BnF, Mss, NAF, 16383, f. 47
Transcription de Marie Rouat assistée de Chantal Brière
a) « acquis ».