Paris, le 24 mai 1882, mercredi matin, 8 h.
Dors, mon bien-aimé, puisque c’est le seul moyen pour toi de compléter ta nuit en dormant le jour. L’important est que tu tiennes ta santé en équilibre comme tu l’as fait jusqu’à présent. Vacquerie m’écrit qu’il ne viendra pas dîner demain à cause de la représentation au bénéfice de Mme Chéret dont Sarah Bernhardt fait à elle seule presque tous les frais [1]. Donc nous n’aurons que les enfants de notre cher Paul Meurice demain, avec son gendre peut-être. Il est probable que Mme Lockroy ira aussi à cette représentation, mais j’espère qu’elle nous laissera Georges et Jeanne comme dédommagement ; c’est bien le moins.
Autre guitare et autre lettre tout aussi touchante et aussi navrante que les précédentes, qui sont nombreuses, à propos du massacre des juifs où on te supplie d’élever la voix pour faire cesser ce crime de lèse-humanitéa. Je joins mon humble voix à celles de tous ces malheureux opprimés et persécutés au nom des préjugés et de la barbarie les plus ignorants et les plus féroces, ceux de la Russie [2]. Je te dis cela très mal mais je sens qu’il se commet là quelque chose d’injuste et d’odieux qui mérite ton attention et ton intervention. Si je me trompe pardonne-le-moi en raison du sentiment qui m’inspire et de la confiance que j’ai dans ton dévouement pour les misérables quels qu’ils soient et quels queb soient leurs fautes ou leurs crimes, car tu es pour moi le représentant du Dieu que j’adore.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16403, f. 93
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette
a) « lèze-humanité ».
b) « quelques ».