Paris, 14 mai 1882, dimanche matin, 8 h.
Je me suis indulgée [1] ce matin, mon cher petit homme, ce qui m’a assez réussi pour me permettre de me traîner jusqu’ici où j’achève de me ravigotera en te gribouillant ma pauvre restitus avec tout le courage que me donne mon amour. J’espère que je serai tout à fait bien à l’heure de ton lever. En attendant je donne un libre cours à mes jérémiades. Il paraît que les enfants [2] ne déjeunerontb pas à la maison aujourd’hui. Du moins c’est ce que vient de me dire Célanie. Il est vrai que c’est aujourd’hui dimanche et que le temps invite à prendre la clef des champs. Autrefois nous n’y aurions pas manqué non plus. Maintenant quelques tours de roues au bois de Boulogne nous suffisent. Et la pauvre Mme Chenay [3], qu’en fais-tu ? ? ? Hélas ! Hélas ! Hélas ! Demain séance publique au Sénat à deux heures. Les pauvres juifs continuent leurs lamentables prières et te supplient d’élever la voix pour faire cesser la persécution qui s’acharne sur eux en Russie et en Pologne [4]. Tout à l’heure encore on vient d’apporter un journal rempli des atrocités qui se commettent. Qu’en ditc ton cœur ? Le mien est navré mais qu’est ce [que] je peux ? Rien, sinon t’implorer et t’adorer.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16403, f. 83
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette
a) « ravigotter ».
b) « déjeunerons ».
c) « dis ».