Guernesey, 16 mars [18]63, lundi, midi ½
Je t’écris le cœur gros, mon doux adoré, car il m’en coûte de renoncer à notre chère petite promenade pour rester seule vis-à-vis de moi-même, tête à tête assez maussade, je t’assure mais le moyen de faire autrement dans la disposition critique où je suis ? Je sens aller, venir et tourbillonner en moi, comme la rose des vents, un tas de rhumatisme, de goutte, de névralgie et de GASTRALGIE menaçant et inquiétant pour ma pauvre carcasse. Il faut donc que je me résigne à garder la chambre par prudence et que je fasse de nécessité vertu quitte à pendre mes jambes à mon cou dès que je me sentirai délivrée. En attendant je me frictionne, je souffre, je bisque, je rage, je t’attends, je te désire, je t’aime et je t’adore et je suis heureuse tout de même et malgré tous mes bobos.
J.
BnF, Mss, NAF, 16384, f. 71
Transcription de Chantal Brière