26 décembre 1844

26 décembre [1844], jeudi matin, 11 h.

Bonjour, mon petit Toto bien-aimé, bonjour mon cher petit homme adoré, bonjour. Il fait un brouillard dans ma chambre à ne pas se voir. Pourvu qu’en t’allant cette nuit il ne te soit rien arrivé ? Tu as une confiance dans la probité de messieurs les voleurs, les escarpes et autres étrangleurs que je ne partage pas. Je voudrais bien te voir plus de prudence que cela et que tu ne sortes pas au milieu de la nuit par des brouillards aussi intenses^a que celui-ci. Il est vrai qu’alors je ne te verrais plus du tout. Mais il y aurait moyen de tout concilier si tu changeais tes heures et si tu ne faisais pas du jour la nuit. Toute cette belle morale ne servira de rien qu’à me faire trouver une vieille grognon et une vieille grimaude dès le matin. Il vaut autant que je m’abstienne et que je garde mes réflexions, mes conseils et mes craintes pour moi.
Jour Toto, jour mon cher petit Toto. M’avez-vous assez tourmentée cette nuit avec vos : qu’est-ce que tu as ? Tu es grognon ? Tu me regardes de travers et autres gentillesses aussi vraies les unes que les autres puisque je n’avais rien, que je ne grognais pas et que je vous regardais très droit et avec amour. Vous auriez dû, pour être juste, vous adresser ces questions à vous-même. Mais je vous pardonne. Baisez-moi scélérat et aimez-moi. Je vous aime, je vous baise, je vous désire, je vous mangeRAIS si je vous avais je vous attends et je vous adore.
Si tu vas à l’Académie prends bien garde aux accidents et garantis-toi la gorge le plus que tu pourras car dans mon lit même je ne peux^b plus respirer, tant ce vilain brouillard m’a prise à la gorge. Si tu ne veux pas que je GROGNE il faut bien prendre soin de toi et m’aimer de tout ton cher petit cœur et me baiser jusqu’à en user ta ravissante petite bouche rose. Sinon je te battrai et je te tuerai. Ah ! Mais je n’y vais pas par quatre chemins, moi, voilà mon genre. Taisez-vous.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16357, f. 193-194
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette

a) « intense ».
b) « peu ».

26 décembre [1844], jeudi soir, 6 h. ¾

Je voudrais bien te voir mon petit Toto bien-aimé, mais le temps est si vilain que si tu n’es pas sorti déjà pour tes affaires je n’ose pas te demander de sortir pour moi. Pourtant je serais bien heureuse si je te voyais. M^me Guérard est venue tout à l’heure. Voilà déjà trois fois qu’elle vient à de très grands intervalles et je n’ai jamais d’argent à lui donner. J’en aurais bien encore demandé^a à Suzanne, mais je craignais qu’elle n’en eût^b plus. Elle a avancé aujourd’hui 5 F. ; pour le pâté 5 F. 15 sous pour la blanchisseuse plus la dépense. Tu vois que je ne suis pas tout à fait au pair avec moi-même. Quant au pâté je t’en donnerai la moitié ce soir parce que le pâtissier dit qu’il ne pourra pas attendre jusqu’au Jour de l’an. J’en enverrai un morceau samedi à ma fille. Je tiens absolument à ce qu’elle y goûte à moins que tu ne veuilles me l’acheter au POIDS DE L’OR. Voilà comme je ne suis pas gueularde et comme je suis désintéressée. Voime voime, j’ai reconnu que d’être trop bonne, cela ne profitait pas assez à ceux qui sont ornés^c de cette vertu et j’y ai renoncé pour ma part. Ai-je bien fait mon maître ? Vous ne direz pas oui parce que vous y perdez trop à ce changement mais moi je m’approuve pour vous et pour moi. Cher petit bien-aimé, si tu as eu la raison de ne pas sortir de ce vilain temps malsain je t’approuve et je suis très contente. Mais si tu es sorti comme tu n’es pas venu me voir je suis très fâchée et très triste. Arrangez-vous de cela comme vous pourrez.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16357, f. 195-196
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette

a) « demander ».
b) « eut ».
c) « orné ».