Guernesey, 5 décembre 1858, dimanche matin, 9 h.
Bonjour, mon cher bien-aimé, je t’aime depuis un bout à l’autre de mon moi. Je viens de t’envoyer chercher de la gomme, une grosse provision, mais je persiste à croire que tu en prends trop à la fois dans la bouche et que la plus petite parcelle suffirait pour t’empêcher de tousser. Mon observation, tu le penses bien, n’est pas faite au point de vue de l’économie de tes quelques sous mais pour celui de te faire le plus de bien possible sans fatiguer ton estomac par cette trop grande absorption permanente de mucilage [1]. Si je me trompe, c’est par excès de sollicitude. Cela me fait penser à ta nouvelle théière, Miss Ailex, a-t-elle enfin réussi à vous faire du bon thé ? Tu me diras cela tantôt, tu me diras aussi si tu as passé une bonne nuit. Quant à moi, j’ai souffert comme une pauvre enragée et cela n’est pas encore passé. Ordinairement, cela se dissipe dès que je suis levée, mais ce matin cela persiste. Décidément je suis une vieille patraque qui n’est plus bonne qu’à t’aimer. Aussi, je me borne à cette occupation unique, pour le RESTE, je me croise les jambes et les bras. Tiens, la grêle. Cache-toi sous tes couvertures, mon bien-aimé, et n’en sors que lorsqu’il fera beau. Je t’aime.
Bnf, Mss, NAF 16 379, f. 338
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette