Vendredi, 2 h. de l’après-midi
Vous avez été bien ingrat et bien injuste envers moi, tout à l’heure. Si vous saviez l’effet que me font vos soupçons vrais ou simulés sur mon amour, vous me les épargneriez, ne fût-cea que par pitié. Oui, j’ai du désespoir. Oui, je suis découragée quand je vois que tous mes efforts ne suffisent pas à vous convaincre de mon amour. Cependant il ne se passe pas de jours, pas d’heures, pas de minutes que je ne vous prouve d’une manière certaine que je vous aime. Mais que je vous le prouve, cela ne me suffit pas si vous n’en êtes pas convaincub. Il me faut votre foi en mon amour pour que je croie que vous m’aimez à mon tour. Si vous doutez de mon cœur, vous ne m’aimez pas, c’est certain, et je suis [la] plus misérable de toutes les femmes. Si vous n’en doutez pas, pourquoi me torturer avec ce doute simulé ? Pourquoi mettre une amertume dans tous les épanchements ? Une douleur dans toutesc les joies ? Oh ! je t’aime, sois-en bien sûr. Et toi, m’aimes-tu ? Vois-tu, je ne croirai en ton amour que lorsque tu croiras au mien. Et j’ai tant besoin d’y croire, autant que j’ai besoin de t’aimer. Ainsi jugé !
Mon cher bien-aimé, ma vie, mon Victor, je t’aime, je te baise, je te caresse, je te mords, je suis à tes pieds, je t’aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16322, f. 301-302
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « ne fusse ».
b) « convaincue ».
c) « toute ».