Guernesey, 6 octobre 1858, mercredi matin, 8 h.
Bonjour, mon bien-aimé ; bonjour, dans l’effusion de la joie de te savoir délivré de ta tristesse à cause de ton petit Toto ; bonjour, dans l’enthousiasme de mon bonheur pour le cadeau que tu m’as fait et qui reviendra naturellement à tes enfants après ma mort. Je te demande pardon de mon indiscrétion, car je sens bien que c’en est une puisque tu n’avais pas eu l’intention première de me donner cette écharpe et cette décoration de membre de l’Assemblée Nationale, que tu as rendues glorieuses et saintes au Deux Décembre en les mettant sur ta poitrine comme protestation contre le crime de Bonaparte et comme point de mire aux fusils de ses soldats [1]. Je crains, mon adoré bien-aimé, que tu ne m’aies donné ces pieuses reliques que contraint par la tristesse que je t’ai montrée de m’en séparer. Je sens que je dois avoir la générosité de ne pas abuser de ta bonté et que mon devoir est de te les rendre tout de suite. Je l’ai tenté hier mais tu n’as pas cru à la sincérité de mon renoncement. Aujourd’hui, je te supplie encore de reprendre ces souvenirs bénis de tes dangers et de mon amour. Il est bon, il est juste que tu aies chez toi les attributs et les témoins de ton honneur et de ton sacrifice. Je m’explique mal mais c’est du fond du cœur que je te supplie de reprendre ce que j’avais si ardemment souhaité d’abord avant d’avoir réfléchi de quelle importance c’était pour ta famille. J’aurais peur de les faire attendre trop longtemps ! Mon Victor, je t’aime.
Bnf, Mss, NAF16379, f. 283
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette
[Souchon, Massin]