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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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15 juin 1837

15 juin [1837], jeudi matin, 9 h.
Anniversaire de notre voyage [1].

Il y a un an à pareil jour, à pareille heure, j’étais bien heureuse et je n’avais plus le moindre bobo. Il ne me faudrait rien moins que le même bonheur pour me guérir et pour me redonner un peu de joie au cœur, car je suis bien triste, bien triste. Je viens de copier les vers que tu m’as demandés hier. C’était bien beau à copier, mais j’éprouvais en les lisant un sentiment de regret, en me reportant au temps où ils ont été faits. Le 17 juillet 1836 [2], c’était la récolte des beaux fruits à l’automne, et qui ne vous laisse plus en perspective que l’hiver, avec ses jours courts et son ciel sans soleil. Je suis très souffrante ce matin, encore plus qu’hier au soir. Je n’ai pas pris de bain, il paraît que les baigneurs [3] aussi font la fête [4]. Je souffre extrêmement. J’ai envoyé ta lettre à M. Billing [5], mais avant je l’ai relue pour baigner mes yeux dans ton écriture. C’est toujours bon et doux de te lire, même quand ça n’est pas à moi que tu écris. Maintenant il ne me reste plus qu’à avoir de la patience et du courage, car je prévois que tu ne viendras pas de sitôt. Pauvre enfant, je ne vous gronde pas. Je sais que vous travaillez. Quand je songe à l’œuvre, je trouve le temps bien court. Mais quand je pense que je ne te verrai pas jusqu’à ce qu’elle ait parua, je trouve le temps bien long, et il me semble que je ne pourrai jamais arriver là [6]. Je t’aime mon Victor. Je t’aime mon beau petit homme. Je t’aime de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16330, f. 301-302
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « est parue »


15 juin [1837], jeudi après-midi, 4 h.

Mon cher petit bien-aimé, je crois que tu aurais pu sans inconvénient nous promettre d’aller chez Mme Pierceau. Je ne dis pas cela pour moi qui suis habituée à ne prendre l’air que par les trous de ma chaufferettea, mais pour cette pauvre Claire qui doit trouver les vacances peu récréatives chez madame son auguste mère. Voici qu’il est quatre heures passées. La journée est à peu près perdue ou à peu de choses prèsb. Il est vrai que tu pourras leur donner une loge pour Saint-Antoine [7], en supposant que tu penses à revenir pour cela. Jour mon petit o. Il me semble que mon bain m’a un peu soulagée. Nous verrons la suite. Je vous aime mon petit homme chéri. Je vous aime de toute mon âme quoique cependant vous soyez bien peu aimable les jours ordinaires y compris les jours fériés, témoins ces deux-ci que j’ai passés à vous attendre inutilement. Il faut que j’aie l’amour bien chevillé dans l’âme pour y résister, convenez-en ! Ma pauvre fille est comme un ours dans sa cage. Elle ne tient pas en place, elle se penche à chaque minute à la fenêtre dans l’espérance de vous voir arriver. On voit bien qu’elle n’est pas faite comme moi à votre exactitude. Je vous aime, oui je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16330, f. 303-304
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « chaufrette ».
b) Les mots « ou à peu de choses près » sont rayés par de petits traits verticaux espacés, indiquant un probable repentir pour éviter la redondance avec le syntagme précédent.

Notes

[1C’est le 15 juin 1836 que Juliette Drouet et Victor Hugo, accompagnés de Célestin Nanteuil, avaient entrepris leur voyage annuel. Ils avaient, pour cette première journée, déjeuné à Chevreuse et dormi à Rambouillet.

[2Juliette fait allusion au poème « Une nuit qu’on entendait la mer sans la voir », daté du 17 juillet 1836, et qui paraîtra bientôt dans Les Voix intérieures (XXIV).

[3Ceux qui apportent le bain à domicile.

[4Allusion aux festivités organisées lors des jours fériés choisis par le duc d’Orléans pour présenter son épouse aux Parisiens.

[5Le baron Sigismond-Adolphe Billing (1801-1852), ministre plénipotentiaire, chargé de mission auprès du Ministère des affaire étrangères, fut secrétaire d’ambassade à Naples, à Francfort, à Copenhague et à Stockholm. Ce n’est pas la première fois que Hugo lui écrit ou qu’il le charge de transmettre des lettres à ses correspondants étrangers.

[6Juliette est impatiente de voir enfin paraître Les Voix intérieures, alors en phase d’édition et qui sortiront le 26 juin.

[7Le Théâtre de la Porte-Saint-Antoine, auquel Juliette avait refusé un engagement en janvier 1836.

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