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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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30 mai 1837

30 mai [1837], mardi matin, 10 h. ½

Mon pauvre petit homme, que fais-tu ? Aurais-tu été assez déraisonnable pour passer encore cette nuit à travailler ? Avec tes yeux si malades, ce serait vraiment plus que de l’imprudence, ce serait folie. Je sais bien que j’ai besoin d’argent. Je le sais mais il y a des choses que nous aurions pu retarder et d’autres pour lesquelles nous avons des ressources si tu voulais en user. Dussé-jea me faire dire encore que ma sollicitude n’est que du bout des lèvres, je te répéterai qu’avec les yeux malades comme tu les as, il est honteuxb et affligeant que je souffre que tu travailles pour moi autant que tu le fais. Ce n’est pas une raison si mes besoins ne s’arrêtent pas pour que tu y satisfasses aux dépensc de ta santé, de ta vie et de mon repos. Nous avons des ressources, usons-en. Le diable ne sera pas toujours à notre porte. Je suis triste ce matin, de ne t’avoir pas vu, et cependant si je croyais que tu as passé cette nuit à te reposer je serais sinon joyeuse, du moins tranquille. J’ai vraiment honte de moi. Il me semble que mon devoir d’amante serait de ne pas m’imposer à toi, quand je suis sûre que le fardeau est plus lourd que tes forces, la fatigue et le tourment plus grands que le bonheur. Je me dis cela, et j’ai aussitôt envie de m’enfuir bien loin. Je te le dis sans affectation et bien sincèrement comme je sens. Je suis très malheureuse de te voir ainsi aux prises toutes les nuits avec ce travaild qui te tue les yeux. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16330, f. 239-240
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « dussai-je ».
b) Suivi de « pour moi », biffé.
c) « au dépend de ».
d) « travaille ».


30 mai [1837], mardi, 10 h. ¾ du matin.

Je t’écris cette seconde lettre mon amour, parce que je te la dois d’hier, et que le plus tôt qu’on paye ses dettes vaut le mieux. Je t’en ai écrit une tout à l’heure pleine d’inquiétude et de tristesse, mais c’est qu’aussi tu n’es pas raisonnable. Tu vas tu vas comme cela, sans prendre garde que ta santé si chère, que tes yeux si beaux et si doux se fatiguent et souffrent. J’ai des besoins, je le sais, et je ne te les cache pas parce que tu as exigé de moi une entière franchise. Mais ces besoins, n’avions-nous pas quelque moyen d’y faire face sans brûler tes yeux par des veilles assidues ? Le mont-de-piété par exemple, ne pouvions-nous attendre un moment plus opportun pour en retirer des objets peu utiles pour la plupart ? Enfin, mon cher bien-aimé, il est bien affligeant pour moi de voir que tu ajoutes volontairement à un fardeau déjà trop lourd. Je suis triste ce matin parce que je crains que tu ne te sois forcé à écrire cette nuit quand tu pouvais à peine tenir tes yeux ouverts. Je suis un peu souffrante aussi : ce que nous attendions est venu [1] et tu sais que cela me rend toujours malade. Je t’aime mon Victor adoré. Je t’aime bien ardemment et bien religieusement. Je t’aime, comme le plus beau des hommes que tu es, et puis je t’aime comme l’esprit de Dieu que tu as. Tu devrais bien venir me voir un moment ce matin pour me tirer d’inquiétude. Jour mon Toto. Jour mon petit homme. Je baise tes pieds.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16330, f. 241-242
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein


30 mai [1837], mardi soir, 9 h. ¼

Que je suis heureuse mon cher petit homme bien aimé, tes yeux vont mieux. Quel bonheur ! Tu vois que c’était de repos dont ils avaient besoin. Tu feras bien de leur en donner encore cette nuit. Si tu veux je leur ferai toute la nuit un bon petit remède. Je les bassinerai avec de bons baisers bien doux et demain, guéris, entièrement guéris. Plus de bobos. Vous m’avez donné des bien belles choses aujourd’hui mon petit To. Je les conserverai toute ma vie à cause de cela, à moins qu’il n’y ait une circonstance urgente qui en exige le sacrifice, auquel cas je m’en déferais, et de bien bon cœur encore, car ce serait pour notre amour. Vous étiez trop beau tantôt, mon cher bien-aimé. Je voudrais bien savoir pour QUI. Toto… Toto… vous sentez le roussi. Prenez bien garde au feu. Je suis sur mes gardes, je vous en préviens. Je vous aime cher petit homme, je vous aime… ce n’est pas assez, je vous adore, oh oui je t’adore !
Pauvre ange, je n’ai pas d’huile pour la lampe, je crains que la bougie ne te fasse mal aux yeux, comment donc faire ? Eh bien ! nous éteindrons la lumière, nous n’en serons que plus éclairés par vos deux soleils que vous avez le front d’appeler vos yeux.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16330, f. 243-244
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

Notes

[1Juliette utilise souvent ce genre de périphrase pudique, pour rassurer Hugo sur les risques de grossesse.

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