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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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22 février [1845], samedi matin, 10 h.

Bonjour, mon Toto bien-aimé, bonjour, mon Toto chéri, je baise tes pauvres beaux yeux fatigués et tes chères petites mains froides. Comment vas-tu ce matin, mon amour ? Ce que tu as souhaité cette nuit, que le temps se détende d’ici à jeudi, paraît devoir se réaliser. Déjà, il pleut, ce qui est un commencement de dégel. Seulement il faut prendre garde de glisser, car on dit le pavé très difficile. Je vais me mettre à copier sans interruption jusqu’à ce que j’aie fini les deux feuilles que tu m’as laissées [1]. Tâche de m’en apporter d’autres pour ce soir afin que je ne te fasse pas attendre. J’ai déjà copiéa ce matin, mon Toto chéri, et fait mes petites affaires, seulement je suis attiféeb comme la poupée du diable mais je tiens à te donner la copie le plus vite possible afin que tu n’aies pas le prétexte de la donner à d’autresc. Je t’ai fait acheter de la poudre. Je fais en ce moment mettre de la cendre sur la marche de la porte du jardin pour que tu ne te cassesd pas le cou en allant et venant. Tu auras du bon bouillon ce soir. Enfin je fais de mon mieux pour tromper l’absence. Je ne réussis qu’à me la rendre un peu moins insupportable, c’est déjà beaucoup, mais ce n’est pas assez pour un cœur comme le mien.
Je n’ose pas te dire de penser à moi, je sens bien que cela ne se peut pas, occupé comme tu l’es. Du reste, mon adoré, il est impossible de montrer plus de générosité pour les deux personnages que tu loues ; le mort et le vivant sont aussi généreusement partagés l’un que l’autre. Il faut être toi pour savoir pardonnere comme tu le fais. Je t’admire, mon Victor, et je te vénère comme ce qu’il y a de plus grand et de plus généreux au monde. Laisse-moi baiser tes pieds en signe d’adoration. Tu es mon noble Victor adoré.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16358, f. 109-110
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « j’ai déjà copier ».
b) « attiffée ».
c) « à d’autre ».
d) « tu ne te casse ».
e) « savoir pardonné ».


22 février [1845], samedi soir, 5 h. ¾

Je m’étais bien dépêchée, mon Toto chéri, dans l’espoir que tu m’apporterais à copier, mais j’ai été plus vite que les [illis.]. Du reste, j’aime mieux cela. J’aime mieux attendre après toi que de te faire attendre après moi. Comme j’étais en avance, je me suis [ingéniée  ?] de faire une décoration à ma chambre. Je n’ai réussi à rien de bon. J’attends que le 27 [2] soit passé pour mettre votre imagination et votre goût à contribution. Je m’en rapporterai tout à fait à eux puisqu’il paraît que je suis tout à fait détérioréea en fait d’ART. Je n’en crois pas un mot, ma modestie s’y refuse, mais je crois toujours en vous, ce qui fait que j’abdique volontiers toute volonté à ce sujet.
Dans ce moment-ci, je fais poser la frange à la cheminée. On l’a un peu rapetassée [3] auparavant mais ça n’en reste pas moins une penaillerie [4] des plus penaudes. QUAND VOUS AUREZ BEAUCOUP D’ARGENT À VOUS, JE VOUS LA VENDRAI AU COMPTANT ET JE SERAI TRÈS CONTENTE MOI-MÊME DE FAIRE DESSUS. TIENS, VOILÀ UNE TOURNURE DE PHRASE QUI SENT L’ENDROIT D’OÙ ELLE SORT, je la répète, on ne saurait trop répéter les jolies choses, de faire dessus..... un honnête bénéfice qui me permette d’en avoir une toute neuve, badoularde [5] va, en veloursb rouge, voime, voime. Attends Toto sous l’orme [6] et bois de l’eau, ma pauvre Juju, cela ne te tombera pas sur le pied. Eh bien ! ça m’est égal. Du moment où je vous ai dit vos dures vérités, je suis vengée, je suis contente et je garde ma cheminée, non pas sans fumer, car elle fume même sans feu, je la garde, dis-je, avec délices et j’en fais mes choux gras, il y a assez de graisse dessus pour cela. Sur ce, baisez-moi et méprisez-moi, je vous le permets, si vous m’aimez.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16358, f. 111-112
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « déterrioré ».
b) « velour ».

Notes

[1S’agit-il du discours que Victor Hugo a prononcé le 16 janvier 1845 lors de la réception de Saint-Marc Girardin à l’Académie française ou bien de celui du 27 février 1845 qu’il rédige encore pour la réception de Sainte-Beuve ? Juliette Drouet évoque déjà ce discours dans une lettre du 21 février (BnF, Mss, NAF 16358, f. 107-108).

[2Le 27 février 1845, Victor Hugo prononce un discours en réponse au discours de réception de Sainte-Beuve à l’Académie française.

[3« Raccommoder grossièrement avec des pièces » (Larousse).

[4Ce terme est un dérivé de penaillon.

[5Y a t-il un lien avec le personnage de théâtre, M. Badoulard, que l’on retrouve dans de nombreuses comédies, type même de l’homme commun, idiot et naïf ? À élucider.

[6« Attendre sous l’orme » : « Attendre avec pleine confiance en sa cause » (Larousse).

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