Guernesey, 2 mars 1858, mardi soir, 4 h. ½
Je ne sais plus que devenir par cette pluie carabinée qui entre par toutes les ouvertures de mes fenêtres ; j’ai beau éponger et tamponner toutes les fentes, l’inondation me gagne et bientôt je serai submergée. Mais auparavant de faire mon dernier plongeon, je veux jeter cette pauvre restitus par-dessus bord, espérant qu’un vent intelligent la poussera dans vos eaux, mon cher petit homme. Et à ce sujet, je vous demanderai où vous en êtes vous-même avec ce déluge [1] et comment se comporte votre arche de Hauteville-House dans ce débordement d’onde ? J’ai grand peur que cela ne soit encore plus désastreux pour vous que pour moi. Cher adoré, c’est bien vrai que je suis très tourmentée sur ce qui se passe chez toi car ta maison est bien autrement importante que la mienne, et mon droguet [2] a le poil plus marin que tes tentures de soie. Aussi, j’ai sérieusement peur que tu n’aies de grands dégâts à constater aujourd’hui. Encore, si je pouvais t’aider à te préserver de cette horrible pluie, mais j’ai le regret de me sentir inutilement clouée ici et pourtant je t’aime de toute mon âme.
BnF, Mss, NAF 16379, f. 49
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette