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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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19 mai 1848

19 mai [1848], vendredi matin, 8 h

Bonjour, toi, bonjour, vous, qu’est-ce qui vous a donc encore empêché de revenir hier au soir ? J’ai bien peur de deviner le vrai motif et si je ne le dis pas tout de suite c’est pour ne pas me débarbouiller moi-même avec une hideuse vérité comme celle-là dès le matin à jeun. Quand j’aurais pris un peu plus mon parti je vous prouverai que JE SAIS TOUT et alors ce sera à vous de trembler. D’ici là, jouissez de la République et de la liberté que je vous laisse. Plus tard il ne sera peut-être plus temps.
Que dites-vous de cette température drolatique ?
Quant à moi j’en profite pour me donner des bons rhumes de cerveau que j’expectore par tous les bouts à la fois. Je tousse, je mouche, j’éternue, je pleure, je grogne, je bave. Rien n’y manque. C’est parfait d’exécution. Il ne faudrait plus que des gendarmes pour être au grand complet mais les Républiques n’en veulent pas. Maintenant je voudrais bien savoir quand je vous verrai ? Si c’est une indiscrétion je vous prie de me la pardonner et de m’apporter la réponse le plus tôt possible. Je suis assez pressée de mon naturel et je vous avoue que je suis à bout de patience. Maintenant que vous savez tout baisez-moi consciencieusement.

Juliette

MVH, 8090
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux


19 mai [1848], vendredi soir, 9 h.

Je t’écris bien tard, mon bon petit homme, mais j’aime mieux tard que jamais. D’ailleurs l’amour ce n’est pas comme les œufs à la coque : on peut le laisser sur le feu sans inconvénient. Il est de sa nature incombustible comme l’amiante.
Tu ne m’as pas dit tantôt que tu ne reviendrais pas me voir ce soir mais tu ne m’as pas dit non plus que tu pourrais revenir ; dans le doute je suis assez inquiète sur le sort de mon pauvre petit quart d’heure de grâce et je n’ose me livrer ni à la joie de l’espérance ni aux regrets de la déception. Je vis dans une espèce de juste milieu terne et désagréable qui n’est rien moins qu’aimable. Si je pouvais te faire parvenir des propositions de corruption je le ferais pour te décider à venir tout de suite. J’irais même jusqu’à renoncer à mes onze sous de faux frais d’hier. Malheureusement je ne peux pas faire jouer le télégraphe électrique pour te faire parvenir cet envoi, ce qui me désespère car je suis sûre que tu n’y aurais pas résisté. Moi-même qui te fais ces offres insensées je n’y résisterais pas non plus si elles m’étaient faites de bonne foi et en tout bien tout honneur. Puisse ton instinct te guider et t’amener bien vite dans les bras de mes onze sous, c’est le vœu le plus CHER à mon cœur de Juju.

MVH, 8091
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux

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