4 avril 1846

4^a avril [1846], samedi matin, 10 h. ¾

Cher petit bien-aimé, avant toute chose, avant même le bonjour quotidien, je t’aime et je te suis soumise avec la confiance et la foi que j’aurais en Dieu. Je ferai tout ce que tu désires et comme tu me l’as indiqué vis-à-vis cette pauvre femme et j’espère en venir à bout. La difficulté ne s’aplanit^b pas du côté de Claire car heureusement et malheureusement l’appétit lui revient avec la santé mais je suis très décidée cependant à ne pas m’arrêter à ces heureux symptômes et à la croire très souffrante, nonobstant ces diagnostics. ATTRAPÉ^b. Cher bijou je te souris malgré les ennuyeusesᶜ choses qui m’arrivent pour te prouver qu’il n’y a que de l’amour dans mon cœur et le désir de te plaire à tous les moments de ma vie.
Il est probable que tu ne penseras pas à m’apporter ta médaille pour tantôt. Je le regretterai pour Claire qui perdra ainsi l’occasion de voir les travaux de son père [1]. Quant à moi j’ai toujours le temps et à la rigueur, je m’en passerai admirablement bien. Je me suis levée ce matin de très bonne heure pour me peigner et faire toutes mes affaires. Dans un moment je serai sous les armes et je n’attendrai plus que vous pour faire feu. En attendant, je vous baise plus que jamais et de toutes mes forces et je vous adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 339-340
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

a) « 3 », corrigé d’une autre main.
b) « ATTRAPPÉ ».
c) « s’applanit ».
d) « ennuieuse ».

4^a avril [1846], samedi après-midi, 2 h. ½

Cher petit homme adoré, le mauvais temps t’a sans doute empêché de venir avant d’aller à la Chambre. Cependant tu devais avoir besoin de baigner tes pauvres beaux yeux [2] et quant à moi, j’avais et j’ai encore le plus grand besoin de te voir et de te baiser. Je viens d’écrire dans toutes les directions pour empêcher que personne vienne me voir demain. C’est une précaution bonne dans tous les cas puisque cette pauvre femme est tenue à beaucoup de prudence et de discrétion [3]. Demain ou lundi j’écrirai à M^me Marre pour lui dire que Claire a eu une sorte de rechute qui m’empêchera de la reconduire aussi tôt que je le pensais. Je voudrais pour beaucoup que M^me Luthereau ne m’aitᵇ pas lâché ce hideux chien dans les jambes. Enfin c’est fait et je ne pouvais ni le prévoir, ni l’empêcher et le parti auquel nous nous sommes arrêtés est le plus sage et celui qui nous délivreras le plus tôt de tous ces dangereux inconvénients que nous prévoyons. Mais hélas ! Je crains que cela ne t’ennuie beaucoup trop et que ce ne soit un motif pour toi de t’éloigner encore davantage de ma maison ? Je le crains plus que je n’ose te le dire et ce n’est pas un des moindres chagrins que j’entrevoie à l’horizon. Aussi je suis triste, triste, triste aujourd’hui et je donnerais ma vie pour deux sous si cela pouvait remédier à quelque chose. Pourvu que je te voie en sortant de la chambre ? Il ne me manquerait plus que ça, de ne pas te voir. Pour le coup, ce serait à mon tour à m’en aller par le premier chemin venu.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 341-342
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

a) « 3 ».
b) « m’est ».