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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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3 avril 1846

3 avril [1846], vendredi matin, 9 h. 

Bonjour mon Toto chéri, bonjour mon aimé, bonjour toi. Je te baise de loin pour ne pas te donner mon rhume du cerveau. Je peux me flatter d’en avoir un soigné. Aussi je ne t’approcherai qu’à une distance respectueuse et prudente aujourd’hui car il est parfaitement inutile de transformer un bon gendarme en honnête académicien et un pair de France vertueux. Baisez-moi. Je me fiche de vous, parce qu’autrement je n’oserais pas vous regarder, tant vous me paraissez grand entre les grands et bon et noble entre tous et infiniment au-dessus de tous. Cher adoré, tu comprends mon charabia, toi. Tu sais bien que quoi que je dise et que je fasse je t’aime et je t’admire avec tout ce que j’ai de cœur et d’intelligence. Je supplée à ce qui manque du côté de l’esprit par l’amour et je t’assure que nul ne pourrait t’admirer et te comprendre mieux que je ne le fais à l’aide de cet auxiliaire. Je regrette bien de ne pouvoir pas assister à toutes les séances de la Chambre auxquelles tu assistes toi-même uniquement pour avoir le bonheur de te voir rayonner au milieu de tous ces bons vieux hommes. Tu n’as pas besoin de cette ombre pour briller, le soleil n’a pas besoin de la nuit pour éblouir. Je voudrais te voir là comme je voudrais te voir ailleurs, comme je voudrais te voir toujours. Te voir c’est vivre, t’entendre c’est penser, te baiser c’est le ciel. Il est fort injuste que je ne puisse pas aller à discrétion à cette Chambre. J’ai envie de faire une pétition à ce sujet. Le droit de pétitionner est acquis, je pense à tous les FRRRANCÉS et à toutes les Françaises. Je compte en user très prochainement. Clairette va bien. Je crois même que je suis la plus malade dans ce moment-ci à en juger par la borne fontaine qui me sert de DEZ. J’ai une râpe dans la gorge et plusieurs migraines les unes sur les autres dans ma pauvre cervelle. Bref, je suis un être charmant mais marécageux. Si vous venez me voir vous vous garderez de mon humide tendresse, car vous savez que ce genre d’agrément se communique très bien. A cette distance je me hasarde néanmoins à vous baiser à l’envers et à l’endroit sans le moindre remords.

Ju

BnF, Mss, NAF 16362, f. 335-336
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette
[Souchon]


3 avril [1846], vendredi soir, 4 h. ½

Quelle fâcheuse et quelle contrariante nouvelle nous avons reçue là, mon cher bien-aimé, et quel embarras pour moi de toute façon que la présence de cette pauvre femme [1] chez moi même pour un seul jour. J’espère cependant que je sortirai de cette fausse position sans la trop affligera, cette malheureuse femme. D’abord avant toute chose et par-dessus toute considération, je ne veux pas compromettre ta tranquillité. Aussi sois sûrb que je ferai tout au monde pour que tu n’aies jamais à te repentir de m’avoir aimée et de m’avoir sauvée. Ne t’inquiète donc plus de ce fâcheux et triste incident que je ne pouvais ni deviner, ni prévoir, et laisse-moi arranger la chose avec cette pauvre créature quand je la verrai dimanche. D’ici là, tu m’éclaireras encore plus si c’est possible sur cette affaire. Mais je sens d’instinct tout ce qu’elle a d’inutilement compromettant pour moi et sans aucun profit pour cette femme pour ne pas me laisser aller à un dangereux mouvement de pitié et d’intérêt. En te parlant ainsi, tu vois, mon pauvre bien-aimé, combien je comprends l’étendue de mon devoir envers toi et envers ma fille puisque je lui sacrifie le plaisir d’obliger une malheureuse femme qui a été et qui est encore une bonne amie pour moi. Du reste, cette pauvre Claire qui est nerveuse comme un chien a été prise, depuis que tu es parti, d’un accès de toux que rien n’a pu calmer jusqu’à présent. Je désire que le besoin que j’ai de son indisposition pour dimanche ne l’aggrave pas au point de la faire devenir plus sérieuse. Mon Dieu quelle stupide histoire et combien je voudrais qu’il n’y ait pas de suite d’aucune manière. Quoi qu’il arrive mon bien- aimé, c’est à toi d’abord, ensuite à toi et toujours à toi que je songerai.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 337-338
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

a) « affligée ».
b) « sûre ».

Notes

[1Juliette Drouet s’apprête à recevoir la visite de son amie Laure Luthereau qui se rend à Paris pour une affaire délicate. Mariée entre temps à Jean Luthereau et vivant en Belgique, Laure Luthereau a eu, jeune fille (elle s’appelait alors Laure Krafft), deux enfants hors mariage. Est-ce cette position qui rend sa visite à Paris gênante aux yeux de Hugo pour la réputation de Juliette Drouet ?

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