Paris, 11 novembre [18]78, lundi matin, 10 h. [1]
Non, mon grand bien-aimé, vous n’avez pas le droit de compromettre votre précieuse santé et de risquer votre glorieuse vie sans nécessité, pour rien ; « cet art pour l’art » ne vous est pas permis et nous nous y opposerons de toutes nos forces au risque de gêner un peu votre « liberté d’allure ». J’en suis fâchée mais c’est comme ça, prenez-en galamment votre parti. Il y a assez d’hommes inutiles sur la terre qui peuvent jouer leur vie à pair ou non pour que vous soyez obligé de veiller et de garder la vôtre autant de temps qu’il plaira à Dieu de vous la confier pour l’honneur et pour le bonheur de l’humanité tout entière. C’est pourquoi, mon cher petit grand homme, je te supplie de ne plus recommencer l’imprudence d’hier soir [2], ni aucunes autres plus importantes encore, dans l’intérêt général, dans celui de tes adorables petits-enfants, dans le mien dont tu es tout à la fois : santé, vie et âme. Quand je te vois te désintéressera de toi-même à ce point-là je crois que tu ne m’aimes plus et que ma présence t’est tellement insupportable que tu veux t’en affranchir par tous les moyens inavouables et tacitement. Alors il me prend un besoin désespéré et fou de te délivrer à tout jamais de moi plutôt que d’être complice involontaire de tes sacrilèges et multiples tentatives de suicides, non suivis d’effet jusqu’à présent, non pas par ta volonté, mais par celle de Dieu qui veut que tu vives encore longtemps pour sa plus grande gloire et pour la tienne. Que sa volonté soit faite. Ainsi soit-il.
Monsieur Victor Hugo
1e lettre avenue d’Eylaub
BnF, Mss, NAF, 16399, f. 180
Transcription de Chantal Brière
[Guimbaud, Souchon, Massin]
a) « désinterresser ».
b) « Eylaud. »