6 janvier [1846], mardi après-midi, 3 h. ¾
J’espérais, mon cher petit homme qu’il ne serait jamais plus question de l’affaire Chaumontel mais je vois que vous y tenez comme [rache ? ruche ?] et que je ne suis pas prête d’en être délivrée. Cependant rien ne m’empêche de la poursuivre avec vous, cette fameuse affaire. Les libertés sont libres et le chemin de Coulommiers aussi. Je ne vois pas ce qui peut s’opposer à ce que je remonte dans le même compartiment de voiture que vous, les Asseline les plus Chaumontélisés du monde ne peuvent rien contre cela. Aussi je compte sur votre loyauté pour me dire le jour où vous irez à Coulommiers afin de me laisser la faculté de m’y rendre de mon côté si la jalousie et le plaisir de voir de près ce brave Chaumontel m’y poussent. En attendant j’ai bien envie de vous flanquer une bonne dégelée, sans préjudice de la saison, pour vous apprendre à me faire poser en Caroline [1] par le temps qui fait. Y a-t-il longtemps que vous êtes revenu de la campagne ? Êtes-vous de retour de la campagne depuis longtemps ? Depuis combien de temps êtes-vous revenu de la campagne ? Voime, voime fort spirituel et digne d’être empaillé avec les illustres bipèdes qu’ont édité ces trois sublimes questions. Du reste ces sublimités sont traditionnelles chez ces animaux-là. Louis XV était aussi ingénieux et aussi varié dans ces questions. Tu te souviens de ce gentilhomme qui, interrogé plusieurs fois par lui sur le nombre d’enfants, qu’il avait fini, par en augmenter le nombre de cinq à neuf afin, disait-il, de ne pas lui dire toujours la même chose. On aurait pu faire la même chose hier si on n’avait pas pris le meilleur parti, celui de rire au nez du stupide personnage. Quelle bonne fortune pour le Corsaire-Satan [2] ou pour le Charivari [3] s’il savait cela. Non pas que le crétinisme de ces braves gens soit nouveau, mais c’est l’à-propos avec lequel ils s’en servent en toute occasion. Pour ma part je donnerais bien deux sous pour les voir figurer à la place d’Églogue et bucolique, n’était la sympathie que tu portes à d’autres personnes. Pardonne-moi de te parler Politique dans le moment où je suis toute pleine de l’affaire Chaumontel où je voudrais te donner de bonnes gifles.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16362, f. 17-18
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette