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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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21 février [1848], lundi matin, 9 h.

Bonjour, mon doux adoré, bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour. M’avez-vous été bien fidèle cette nuit ? Il me semble que pour une réunion politique il y avait bien des chanteurs et bien des gargouilleuses. Je ne veux pas trop vous tourmenter à ce sujet mais je crois que vous avez un peu abusé de ma crédulité et beaucoup de la circonstance. Jusqu’à présent je ne vois aucune émeute [1]. Il est vrai que mes horizons sont assez restreints et qu’il serait difficile d’y voir manœuvrer vingt mille républicains et soixante mille hommes de troupe. Cependant il me semble qu’à défaut de la vue j’ai l’ouïe et que j’entendrais de dehors certains bruits qui annoncent l’agitation publique et puis Suzanne, ma gazette officielle, m’en aurait dit quelque chose et jusqu’à présent elle ne paraît pas se douter de quoi que ce soit. Du reste le temps est beau, beaucoup trop beau pour se mêler à tous ces charivaris d’après de fricandeaux et de Pairsa de France, de canards et de députés, de pieds de cochons et de républicains. Si j’avais été le bon Dieu j’aurais voulu leur tremper moi-même une SOUPE dont le bouillon leur aurait suffi sans aucune addition de dessert et de PRUNES MUNICIPALES. Décidément le baromètre n’est pas intelligent et je suis aussi amusante qu’un premier-Paris [2] de la gazette de CARPENTRAS ou [illis.]. C’est encore votre faute pourquoi que vous m’induisez en politique. Vous savez pourtant bien que ça n’est pas très drôle pour personne, j’en excepte le marquis de Boissy. Avec cela que vous m’avez tout l’air de vous être servi de ce prétexte pour tirer votre CRAMPE hier au soir. Mais soyez tranquille, MONORGNE vous jouera un air DANSANT dont vous vous rappellerezb longtemps. En attendant : AMUSEZ-VOUS, TRÉMOUSSEZ-VOUS… [illis.] jusqu’à ce que je me mêle de la partiec.

Juliette

MVH, 9024
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux

a) « Pair ».
b) « rappelerez ».
c) « parti ».


21 février [1848], lundi, midi ¾

J’espère que tu n’iras pas à la Chambre sans venir me donner un petit bonjour ? J’y compte bien et c’est ce qui m’empêche de grogner dans ce moment-ci malgré le désir et le droit que j’en ai. Je ne sais pas pourquoi je me figure que vous n’êtes pas aussi honnête que vous le dites et que votre devoir vous oblige d’être. J’ai une certaine idée BISCORNUE sur la soirée d’hier qui n’est rien moins que rassurante. Je suis très fâchée de vous y avoir laissé aller, nonobstant la soi-disante opportunité. Toto, Toto, vous me faites l’effet d’avoir fait vos farces à l’ombre de l’émeute. Mais prenez garde à vous je vous dis que cela.
Il est probable que je ne pourrai pas vous aller chercher encore aujourd’hui. Décidément je suis très ennuyée et je crois qu’il est temps de donner ma démission de Juju mouton pour entrer dans la catégorie de Juju griffon. D’ailleurs cette diversion vous fera peut-être illusion et vous croirez avoir affaire à une Juju nouvelle cela vous fera plaisir et à moi aussi ! J’ai eu le bonheur d’avoir Céleste [3] hier au soir jusqu’à neuf heures et demie. Je ne suis pas encore revenue de ce bonheur-là. J’en ai comme une courbature et je ne peux plus remuer ni les yeux ni la langue rien que du souvenir de l’exercice prodigieux auquel j’ai assisté hier. Heureusement que ce bonheur ne se renouvelle pas tous les jours car j’y succomberais en très peu de temps. Ce genre de divertissement demande à être pris avec beaucoup de discrétion ce n’est pas comme le reste. À propos du reste, en reste-t-il encore ? Je pourrais en douter depuis le temps qu’il n’en est pas plus question que sur la main. Il faudra que je m’assure où cela en est. En attendant je vous offre mes très humbles incivilités.

Juliette

MVH, 9025
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux

Notes

[1L’opposition républicaine, à l’origine de la vaste campagne de banquets organisés dans toute la France, peine à imposer le dernier rassemblement qui doit se tenir à Paris. Prévu le 14 janvier, il est repoussé au 22 février avant d’être à nouveau interdit. Décidé à exprimer son mécontentement, le peuple de Paris se soulèvera le 22 février et parviendra à prendre le contrôle de la capitale. La République sera proclamée à l’issue de ces émeutes, le 24 février.

[2Premier-Paris : article placé en tête d’un journal parisien.

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