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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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28 décembre [1847], mardi matin, 9 h.

Bonjour, mon cher absent, bonjour, mon pauvre affairé, bonjour de toute mon âme et amour de tout mon cœur. Tu n’es pas revenu hier au soir, mais à vrai dire je n’y comptais pas. Tu m’avais trop bien dit de dormir pour que je puisse me faire illusion sur ton prochain retour. À mon grand regret, je n’ai pas pu faire ta volonté et jamais nuit ne m’a paru plus longue, plus fatigantea et plus froide. Voilà déjà bien longtemps que l’insomnie me travaille, mais cette nuit a été encore plus désagréable que les autres. Après mon premier sommeil passé, à une heure du matin, il ne m’a été possible de me rendormir que sur les six heures ; pendant lequel sommeil j’ai fait des rêves atroces. Aussi suis-je ce matin touteb courbaturée et toutb écœurée. J’aurais bien besoin que tu viennes me ravigoterc un petit peu, car je me déplais et je me dégoûte on ne peut pas davantage.
À quelle heure t’es-tu couché, toi, mon Toto ? As-tu terminé quelque chose avec tes libraires [1] ? Es-tu moins empêtré qu’avant ? Tu me diras tout cela quand tu viendras. Je voudrais que ce fût tout de suite et cependant je suis contente que tu te reposes bien et longtemps.
C’est aujourd’hui que viennent la couturière et le jardinier. Tu ne m’as rendu aucune réponse pour eux. Pourtant il faudra bien que je les paie. Si Suzanne a de l’argent, je lui en prendrai, sinon il faudra bien que j’en prenne dans ton sac. C’est une vilaine corvée dont je voudrais bien me dispenser, surtout parce qu’elle te contrarie. Peut-être arrivera-t-il quelque incident d’ici là qui m’enrichira ? Voime, voime, compte là-dessus mon Toto et bois de l’eau de ma fontaine, tu n’iras pas de travers mais tu pourras avaler de charmants petits crapauds [pas  ?] d’Arcueil [2].

Juliette

MVH, α 8027
Transcription de Nicole Savy

a) « fatiguante ».
b) « tout ».
c) « ravigotter ».


28 décembre [1847], mardi après-midi, 1 h. ¼

J’espère que tu ne vaques pas de ce temps-ci, mon pauvre poète errant, et que tu as l’instinct de te tenir clos et couvert auprès d’un bon feu ? Quant à moi j’avais envie d’aller t’offrir le million passe-partout pour m’assurer jusqu’à quel point ce MONSEIGNEUR de nouvelle espèce fait bien son état de ROSSIGNOL [3]. Mais j’ai craint que mon chantage ne s’adresse qu’à des sourdes et je suis restéea coite dans mon domicile de Juju d’où je vous attends avec la plus vive et la plus tendre impatience.
J’espère que tu n’as pas de séance académique aujourd’hui. Je n’ai pas pensé à te le demander hier. Mais ce à quoi je n’ai pas pensé, c’est de te dire de te laver les yeux. Je me suis aperçu ce matin en faisant ton eau que tu ne t’étais pas servi de celle d’hier, ce qui m’a contrariée on ne peut plus. Je ne me pardonne pas [que] tu oublies parce que c’est à moi, pauvre bien-aimé, à te faire penser à avoir soin de ta chère petite personne. Quand il m’arrive de l’oublier, je me ficherais des coups si je pouvais.
J’ai interrompu mon gribouillis pendant une heure, le temps que la couturière a passé chez moi. Je l’ai payé ainsi que le jardinier avec l’argent de Suzanne et je lui dois 40 F. Rien n’est plus désagréable que cette comptabilité quotidienne et le bon Dieu me punit bien en ne me faisant pas riche tout d’un coup.
Voici l’heure où tu as l’habitude de venir. La pluie vient de cesser avec une sorte d’à-propos et je crois que tu ferais bien d’en profiter pour venir à sec. Cela me donnerait un peu de joie, ce qui ne serait pas inutile je t’assure car j’en manque un peu. En attendant je t’attends et je t’aime.

Juliette

MVH, α 8028
Transcription de Nicole Savy

a) « resté ».

Notes

[1Le 30 décembre, Hugo signe un traité avec Renduel et Gosselin pour la publication des Misères (Massin).

[2L’eau d’Arcueil, amenée à Paris par le viaduc qu’avait fait construire Catherine de Médicis, était réputée particulièrement limpide. « Je sais auprès d’Arcueil un fourré d’arbres à côté d’un marais où, étant au collège, je venais avec mes camarades pêcher des grenouilles tous les jeudis. » (Le Dernier Jour d’un condamné, chap. XVII).

[3Crochet de fer pour ouvrir les serrures dont on a perdu la clé, tandis que le « monseigneur » est un levier pour les forcer (GDU). Mais l’ensemble de la phrase reste mystérieux.

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