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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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27 juin 1837

27 juin [1837]a, mardi matin, 9 h. ¾

Bonjour, mon cher petit bien-aimé, bonjour je t’aime. Une fois ce mot lâché, je devrais me taire, n’ayant plus rien dans mon bissac qui vaille la peine d’être exhibé. Je suis triste, ce n’est pas bien intéressant. J’ai le plus grand besoin de te voir un peu plus de cinq minutes à la fois. Mais tu ne le peux pas, et puis tout cela est contenu dans je t’aime. Ainsi tout ce que je dis en plus n’est que du rabâchage bête. Tu devrais donc bien permettre que j’écrive ce seul mot je t’aime dans toute l’étendue de mon papier. Ça te fatiguerait moins les yeux et tu en saurais tout autant de mon pauvre cœur.
Au moment de mettre ma lettre en son lieu d’attente je m’aperçois que les autres ont été oubliées dédaigneusement [1]. Pauvres lettres, elles ont le même sort que leur auteur : c’est quand on n’a rien de mieux à faire qu’on y pense, ce qui n’arrive pas souvent. Voilà un petit incident qui neb me rendra pas le cœur plus gai tout le reste de la journée. Je commence à sentir que je bois. Je ne tarderai plus longtemps, je l’espère, à me noyerc, ce qui sera bien heureux pour tous les deux. AMEN.

Jujulina

Collection Claude de Flers (juin 2013)
Transcription de Florence Naugrette et Evelyn Blewer


a) Millésime ajouté d’une autre main.
b) Sur cette troisième page de la lettre, qui commence au début de ce paragraphe, et sur la page suivante qui commence ici, est écrit en surimpression, en très grosses lettres tracées à la grosse plume avec pleins et déliés : « MON TOTO BIEN AIMÉ JE T’AIME DE TOUTES MES FORCES ET DE TOUTE MON ÂME ».

« Collection Claude de Flers (juin 2013) »


« Collection Claude de Flers (juin 2013) »

c) « noiée ».


27 juin [1837], mardi, 7 h. du soir.

Il est impossible d’acheter plus chèrement l’honneur de t’aimer. Si je prends mes jours un à un, je vois que dans un mois je ne peux pas compter vingt-quatre heures de bonheur. En vérité ce n’est pas assez pour vivre, à plus forte raison pour être heureuse. Les beaux vers ne font pas la belle vie, et s’il m’était donné de choisir entre un rustre qui se consacrerait à mon amour comme je me consacre au tien, je le préférerais de toutes les forces de mon âme [2]. Quelle horrible journée ! oh Dieu que je souffre ! Il me semble que le seul soulagement que je puisse éprouver à l’heure qu’il est serait de m’enfuir bien loin pour ne plus revenir jamais. Oh mon Dieu l’heureuse femme que je suis, et que j’ai bonne grâce de donner toute ma vie pour la table et le logement. En vérité on ne fait pas de meilleur marché et jamais conditions plus heureuses ne se sont [assumées  ?] sur une seule femme. J’aurais tort de me plaindre. Je ne [me] plains pas non plus. Je trouve que c’est bien et qu’il serait dommage de manquer de courage au milieu d’une si belle vie. J’en prends donc, et tant que j’en peux porter ce ne sera pas ma faute si le contrepoids l’emporte. Quellesa sont les raisons qui t’ont empêchéb de venir ? La duchesse d’Orléans à un bout et Mme Dorval de l’autre [3]. C’est bien.

BnF, Mss, NAF 16330, f. 341-342
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « qu’elles ».
b) « empêchées ».


27 juin [1837], mardi soir, 9 h.

Cher bien-aimé, si tu m’en crois, de toutes ces lettres tu ne liras que celle-ci qui est la plus courte et par conséquent la meilleure. Je te le dis sans manière et avec le grand désir d’être obéie. Donne-moi l’exemple. Si tu veux qu’à mon tour je t’obéisse quand tu me défends de me faire du mal à mon âme, moi je ne veux pas que tu en fasses à tes chers petits yeux malades. D’ailleurs, mon pauvre ange, celle-ci les résume toutes : de l’amour, beaucoup d’amour, toujours de l’amour, entrecoupé de plaintes et de regrets, de regrets et de plaintes, et puis l’amour surnage toujours au-dessus de tout. Voilà mes lettres. La seule chose que tu perdras, ce sera la quantité de fautes d’orthographe. Mais je suis femme à te les réviser toutes aussitôt que tes yeux seront guéris. Je t’aime mon Victor bien aimé.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16330, f. 343-344
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

Notes

[1Juliette Drouet, à cette époque, ne poste pas ses lettres : elle les dépose chez elle dans une boîte dédiée à cet effet, où Hugo les relève quand il vient la voir.

[2Cette phrase n’a pas manqué son effet, s’il faut en croire ce qu’écrira Juliette à Victor Hugo le mois suivant : « Je ne suis sûre à présent de vous voir que lorsque j’ai les ouvriers chez moi » (lettre du 14 juillet au soir).

[3Allusion à la récente rencontre de Victor Hugo avec la duchesse d’Orléans lors d’une fête à Versailles le 10 juin. Quant à Mme Dorval, Juliette continue de s’en méfier depuis les répétitions d’Angelo en 1835, à plus forte raison alors que la célèbre actrice s’apprête à reprendre le rôle de doña Sol.

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