Guernesey, 14 janvier [18]68, mardi matin, 7 h. ¾
Toujours levé le premier, mon cher petit piocheur, mais ne vous y accoutumez pas car je me sens, moi aussi, reprise d’une belle ardeur pour ce steeple-chasea [1] à l’aube et à l’aurore. En attendant, je reste paresseusement dans mon lit pendant que vous forgez vos chefs-d’œuvre à grands coups de génie sans avoir l’air d’y toucher. J’espère que tu as passé une aussi bonne nuit que la mienne et que rien ne cloche dans ton admirable santé. J’en oublie de te dire que Gavroche avait déposé son cautionnement hier. Ce sacrifice m’a plus coûté qu’à lui, puisque j’y ai dépensé 3 [illis.] 10 sous mais je ne les regrette pas ni lui non plus si j’en juge par sa bonne humeur qui n’a pas été troublée une seule minute par cet incident ou accident dans son état civil. Suzanne, elle, n’a pas été aussi stoïque et j’ai vu le moment où elle allait faiblir. Heureusement que la petite Turpin, cet âge est sans pitié [2], s’est chargéeb de le conduire au vétérinaire. Tout cela, aller et retour, n’a pas duré plus de vingt minutes. Et voilà comme un galant chat évite tout désagrément [3].
Il y a aujourd’hui trois mois que nous sommes revenus [4]. Il me semble que c’est hier et qu’il y a dix ans que nous avons quittés Bruxelles. Voilà mon optique.
Celui de mon cœur est plus juste car il voit mon amour toujours immuable et pour l’éternité.
BnF, Mss, NAF 16389, f. 14
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « steple-chase ».
b) « s’est chargé ».