Paris, 17 janvier [18]71, mardi soir, 3 h. ½
Jeanne sort d’ici, mon cher bien-aimé, après une séance de près de deux heures sans le moindre petit signe d’impatience ni d’ennui, ce dont je suis très fière puisque c’est moi qui suis son amuseuse en chef. Je voudrais bien avoir le même privilège pour toi. Avec quel bonheur je remplirais cette mirifique fonction ! Malheureusement il te faut des plaisirs moins primitifs que ceux de Petite Jeanne et auxquels je ne puis plus ou pas prétendre depuis longtemps [1]. Cela étant, je me borne à t’aimer purement et simplement, comme l’art pour l’amour pour l’amour celle qui vous aime a bien assez de son amour [2]. Que devient le bombardement, la canonade, la fusillade, tout le tremblement et l’état de siège ? À en juger par les troupes qui passent et repassent sous mes yeux il doit y avoir quelque sortie sous roche probablement [3]. En attendant j’ai envoyé Suzanne à la recherche de bougiea pour toi et pour moi, voire même d’une livre ou deux de sucre si on peut en trouver encore. Ce matin j’ai commencé le rationnement du pain et je dois avouer que j’en ai eu assez même pour en laisser un peu à Suzanne pour son goûter. Jusqu’à présent mon estomac tient bon. Quant à mon cœur j’en suis sûre.
MLVH Bièvres, 130-8-LAS-VH 35 a, b et c
Transcription de Gérard Pouchain
a) « boujie ».